Une sorte de hasard -
A l'origine je ne me souviens pas avoir eu une vocation particulière à devenir franc-maçon. C'est un ami qui s'est dévoilé, qui m'a fait entrer. Une sorte de hasard, donc, par voisinage de
palier. Si j'avais choisi un autre logement, je ne me serais pas rencontré avec ce voisin, qui ne serait pas devenu mon ami, qui ne m'aurait pas fait
entrer.
Ce voisin, cet ami avait-il repéré chez moi quelque vertu maçonnique ? M'aurait-il décelé une vocation ? L'argument doit être spécieux puisque lui-même a, depuis, démissionné : s'il s'était à ce
point trompé sur sa propre vocation, n'y a-t-il pas suspicion sur la vocation qu'il aurait repérée chez moi ? Il faut ajouter que le deuxième surveillant qui a veillé à ma première instruction, a été lui-même radié
ultérieurement. Et que beaucoup de frères de cet atelier ont depuis été perdus corps et biens pour la maçonnerie.
Ils avaient cependant mis une boule blanche pour mon élection et décidé que j'avais vocation à être
reconnu Franc-Maçon. Puis ils ont
quitté le navire … Faudrait-il admettre que la maçonnerie épuise les vocations en quelques années ? Ou bien qu'elle se trompe en repérant des vocations qui n'en sont pas ? Ou bien qu'il y ait des
vocations temporaires ? J'ai donc été
initié, pour la vie, dans un atelier dont j'aime le titre distinctif "La Sincérité Parfaite", Orient de Saint-Pierre le Tampon, île de la Réunion. J'ignorais pratiquement tout de la Maçonnerie en
y entrant. Et je me suis laissé porter par le courant.
Le rite m'a d'abord semblé gratuit, théâtre joué par de mauvais acteurs, ânonné par des frères qui lisaient un
texte qu'ils semblaient découvrir sur le moment. La fraternité m'a d'abord semblé de façade, au regard des disputes, des ambitions : j'observais avec curiosité les frères s'envoyer
des invectives, des remarques peu amènes.
L'exigence de rigueur apparaissait dérisoire, comparée au nombre de frères absents aux tenues, ignorant
l'obligation d'Excuse et d'Oboles, négligeant donc leur serment. Le galimatias de certaines planches de symbolisme me laissait perplexe, à l'écoute de l'éloge traditionnel qu'elles provoquaient de la part du Vénérable Maître en Chaire.
La revendication d'honnêteté m'amusait, connaissant les agissements de certains frères au profane. La prétention aux bonnes mœurs m'étonnait quand même au vu des mœurs publiques de
certains.
Ce qui, à la fin, me semblait le plus drôle, c'est quand même que tous ces Frères de Hautes valeurs morales auraient continué de s'ignorer, s'ils n'avaient été initiés dans le bordel qui nous
servait de Temple, l'Atelier étant hébergé dans le sous-sol d'un hôtel de passe. Comme Centre de l'Union, c'était bien trouvé…
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Mais ma vocation, je ne risquais pas de la perdre, puisque je n'en avais pas au départ. Je suis donc resté, attentif à tout ce qui se passait, n'en comprenant pas la moitié, persuadé qu'il devait
y avoir quelque chose quelque part. Et que j'en aurai la révélation en persévérant.
J'ai été très assidu. J'observai que si je sautais une tenue - pour cause de force
majeure, avec Excuse et Oboles - il me manquait quelque chose. J'observai que l'initiation me marquait plus que je n'avais pensé. Dans les premiers temps je vivais un rêve, planant au-dessus de la réalité que j'essayais de
décrypter au moyen de la "Vraie Lumière", en étudiant à fond l'opuscule qu'on donne à l'apprenti.
Comme j'avais promis sous le bandeau de donner ma maison si on me la demandait, je trouvais normal de
contribuer à l'achat d'un nouveau temple, puis j'y consacrais beaucoup de travail opératif dans une sorte de béatitude néophyte bienheureuse. Le courant m'emportait, mes Frères mes reconnaissaient Franc-Maçon et selon la
formule, je les reconnaissais comme Tels. Je contribuais, un parmi les autres, à les reconnaître comme
tels.
C'était mystère quand même : comment pouvais-je, moi, qui ne connaissait rien, faire que les autres étaient reconnus comme francs-maçons. Et cela me reste un des beaux mystères de la
Maçonnerie.
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J'ai parcouru le cursus symbolique qui, de l'apprenti fait un maître. Comme maître je ne me trouvais guère différent de
l'apprenti que j'avais été. Je ne comprends toujours pas ce qu'est la Franc-Maçonnerie. Evidemment je sais certaines choses, je sais ce qu'elle dit être. Je sais surtout qu'étant maître je dois assumer ce qu'elle est (mais je crains de la rêver idéale), négligeant dans ce qu'elle est tout ce qui ne cadre pas
avec l'idéal qui me convient.
Je m'attache à agir dans le monde profane de telle sorte que si je venais à être découvert Maçon, l'ordre maçonnique et mon obédience ne puissent s'en trouver déconsidérés. Je m'attache à agir
dans l'Atelier de façon à nourrir la Fraternité entre mes Frères de telle sorte qu'ils y trouvent au moins le contentement d'être là. Je m'attache à agir dans mon orient pour faire que les Frères des différentes
familles maçonniques se connaissent, se rencontrent, se rassemblent au-delà de leurs différences, qu'ils ont tant de goût à cultiver et à préserver. Quel étonnement que cela soit si difficile
dans notre fraternité qui se veut universelle !
Je m'attache aussi à ce minimum de rigueur et d'exigence qui permet au maçon de se respecter lui-même afin de provoquer le respect des autres. Je crois voir que les profanes qui demandent
l'entrée du Temple espèrent y trouver ce monde de rigueur, d'exigence qui les libérerait du tout-venant, du n'importe quoi, du laxisme courant hors du
temple.
Mais je vois bien aussi que des Frères s'éloignent, prennent du champ, que les colonnes sont désertes de beaucoup de Maîtres plus anciens, que les rappels discrets au règlement et à leurs
obligations prises sous serment n'émeuvent pas. Ni excuse, ni obole, ni fraternité pour leurs absences … Où est leur fraternité ?
Quand les colonnes sont décorées d'apprentis et de compagnons, et que je ne vois de Maîtres que dans les Offices, me vient la question de savoir comment l'atelier assure sa pérennité ? Comment la
Franc-Maçonnerie perdure dans son message, si ceux qui se sont engagés par serment à assurer cette pérennité se refusent à accomplir leur devoir ?
Maj 19 10 09 - GA - L0