
Et je me découvris plein de songes ... Ils me vinrent sans bruit, comme des eaux de source et je ne compris pas, tout d'abord, la douceur qui m'envahissait. Il n'y eut, au début, point de voix, ni d'images ... Mais dans cette nuit, bâtie comme une cathédrale, quelque chose qui ressemble au sentiment d'une présence, d'une amitié très proche et déjà à demi devinée. Il était quelque part un temple que j'aimais ... Peu m'importait qu'il fut éloigné ou proche. Il suffisait qu'il existât pour remplir ma nuit de sa présence. Puis une voix lointaine est venue mourir sur le rivage. Les mots résonnaient dans la nuit et il n'en subsistait qu'un indéchiffrable message. Mais je n'ai jamais entendu la voix prendre ainsi le large ... Dans l'abîme noir qui nous sépare, c'est comme un lancer de navire. Dans la pâte vierge que j'étais d'abord, vous avez alors frappé une belle image, et le temple lui-même, clos de murs, rayonne ...
Brusquement, m'est apparu le visage de la destinée ... Vieux bureaucrate, mon camarade, nul ne t'as fait évader et tu n'es point responsable. Tu as construit ta paix à force d'aveugler de ciment toutes les ouvertures vers la lumière. Tu t'es roulé en boule dans ta sécurité bourgeoise, tes routines, les rites étouffants de ta vie quotidienne. Tu as élevé cet humble rempart contre les vents et les marées et les étoiles. Tu n'es pas l'habitant d'une planète errante. Tu ne te poses point de questions sans réponses. Tu as eu bien assez de mal à oublier ta condition d'homme ... Maintenant, la glaise dont tu es formé a séché et nul ne saurait désormais réveiller en toi le poète ou le musicien, qui, peut-être d'abord t'habitaient. Et moi, j'entre dans un monde où je lirai mon chemin dans les étoiles, responsable de ce qui se bâtit chez les vivants, responsable un peu du destin des hommes dans la mesure de mon travail.
Etre homme, c'est précisément être responsable. Responsable de soi, des camarades qui espèrent. Responsable de leurs joies et de leurs peines. C'est connaître la honte en face d'une misère qui ne semblait pas dépendre de soi. C'est être fier d'une victoire que les camarades ont remportée. C'est sentir, en posant sa pierre, que l'on contribue à bâtir le monde ... La pierre n'a point d'espoir d'être autre chose que pierre. Mais de participer, elle s'assemble et devient temple. On meurt pour une cathédrale, non pour des pierres. On meurt pour un peuple, non pour une foule. On meurt par amour de l'homme, s'il est la clef de voûte d'une communauté. On meurt pour cela seul dont on peut vivre ...
Quant à toi qui m'accueille aujourd'hui, mon frère, je ne me souviendrai jamais de ton visage. Car tu es l'homme, et tu m'apparais avec le visage de tous les hommes à la fois. Tu ne m'as point dévisagé, mais déjà tu m'as reconnu. Tu es le frère bien aimé et à mon tour je te reconnaîtrai dans tous les autres hommes. Tu m'apparais, baigné de noblesse et de bienveillance, grand seigneur qui a le pouvoir de m'accompagner vers la Lumière. Tous mes amis, tous mes ennemis, en toi, marchent vers moi. Et je n'ai plus un seul ennemi au monde. Je tolèrerai donc désormais les mauvais sculpteurs comme condition des bons sculpteurs, le mauvais goût comme condition du bon goût et la contrainte intérieure comme condition de la liberté.
J'ai écrit mon poème, il me reste à le corriger ... Mais qu'est-ce qu'écrire sinon corriger ? As-tu vu sculpter la pierre ? De correction en correction sort le visage. Et le premier coup de ciseau était déjà correction du bloc de pierre. Quand je construis mon temple, je corrige le sable, puis je corrige mon temple et de correction en correction, je marche vers Dieu.
Le désert - llustration du Petit Prince, par Antoine de Saint-Exupéry
Impressions d'initiation
Paris, mars 1971
Le 8 janvier 1847, à la loge de Besançon les réponses de Proudhon, aux questions rituelles furent les suivantes :
- Que doit l'homme à ses semblables ? Réponse : Justice à tous les hommes.
- Que doit l'homme à son pays ? Réponse : Le dévouement.
- Que doit l'homme à Dieu ? Réponse : La guerre ...
Mieux informé sur la Franc-maçonnerie, Proudhon écrira plus tard :
"Le Dieu des Maçons n'est ni Substance, ni Cause, ni Ame, ni Monade, ni Créateur, ni Père, ni Verbe, ni Amour, ni Paraclet, ni Rédempteur, ni Satan, ni rien de ce qui correspond à un concept transcendantal : toute métaphysique est ainsi écartée. C'est la personnification de l'équilibre universel : Dieu est architecte. Il tient le niveau, l'équerre, le marteau, tous les instruments de travail et de mesure. Dans l'ordre moral, il est la Justice. Voilà toute la théologie maçonnique" -
Eusthènes, 14 mars 2011 *