Daniel
Beresniak est l'auteur de nombreux ouvrages sur la dialectique des mythes et des comportements. Dans "La rose et le compas" il raconte l'histoire passionnante de ceux qui ont voué
leur vie à la rose (l'Amour) et au compas (la Raison). Ce livre présente un passionnant portrait des premiers jardiniers de la rose (la mouvance Rose-Croix et rosicrucienne) et des
initiateurs du compas : les bâtisseurs, depuis les guildes de constructeurs jusqu'aux Francs-Maçons.
Daniel Beresniak met le doigt sur ce que nous devons
changer si nous voulons sortir des vieux stéréotypes articulés autour d'une pensée dualiste et répressive. Avec ceux qu'il appelle les initiateurs, il remet en question bon nombre de nos
certitudes figées et de nos prêts-à-penser confortables et dangereux.
Extraits :
Le mythe du paradis originel perdu à cause de la transgression d'un tabou est généré par la glorification de la pureté. Selon cette mythologie, avancer dans l'histoire, c'est s'éloigner de la pureté. La glorification de la pureté conduit alors à la glorification du passé, c'est-à-dire la nostalgie de l'enfance. On a la vision rousseauiste avec son gamin "né bon" et "perverti" par la société. On a la glorification de l'innocence et de la "sainteté" qui se nourrit souvent de la haine des "intellectuels", des savants et des sages. Ce comportement mental privilégie la spontanéité et l'élan du cœur dont le sens positif est démontré par opposition et relativement au travail de l'esprit et de l'intelligence.
Ils ont raison les amoureux de la "pureté" car ce sont les intellectuels qui détruisent le mythe. Ces salauds ont inventé le microscope à cause duquel on s'aperçoit que l'"onde pure" grouille de saloperies innommables, toutes petites mais nombreuses ! Ces salauds d'"intellos" détruisent le sacré et les tabous en les expliquant. Freud a montré que les enfants ne sont pas du tout innocents. Quant à Einstein et sa relativité, il a montré qu'on ne peut plus rien prendre au sérieux ! D'ailleurs, depuis que la terre n'est plus au centre du monde, on peut s'attendre à tout !
Les amoureux de la pureté ont besoin d'ennemis. Ils ont des "valeurs" à défendre, un monde à sauvegarder. Il leur faut des croisades. L'agressivité ainsi dirigée vers des ennemis bien catalogués, rétablit le narcissisme dans ses droits et privilèges. En avant les purs ! Nous sommes les purs, donc les meilleurs. Un type de ce genre là, un "amoureux" de la pureté, hurla un jour : "Meure l'intelligence !". Ce type là se nommait Millàn d'Astray. C'était un général de l'armée franquiste. Il combattit les républicains pendant la guerre civile espagnole, de 1936 à 1939. Il faisait partie de ceux qui se définissent comme des "croisés".
Ils vivaient le mythe des croisades. A leurs yeux, ils étaient investis d'une mission sacrée : défendre la civilisation chrétienne contre le péril rouge. C'est pourquoi en pénétrant à l'Université de Salamanque, Millàn d'Astray fusilla des professeurs en criant : "Muera la inteligencia". Il avait bien compris là où réside le problème du pouvoir. Si l'on parvient à se débarrasser de tous ceux qui réfléchissent par eux-mêmes et qui cherchent la vérité, le bon peuple restera tranquille et se contentera de la vérité officielle. Il sera heureux d'obéir à ses maîtres. Il sera pur.
(Le XXème siècle a été) riche en héros de cette espèce. Adolf Hitler s'est fait un nom en défendant une idéologie fondée sur (l'élimination de) la race aryenne … Franco, Hitler, Staline sont morts. Les défenseurs de la pureté, aujourd'hui, sont les intégristes de tous bords. Ils purgent bien et souvent haïssent convenablement tout ce qui est étranger à leur foi. Ce sont vraiment des purs et durs. Des vrais de vrais.
En langue militaire, on évite le mot "tuer". On dit de préférence "nettoyer". Dans l'armée, on aime la propreté. On se lave chaque jour, on balaie, on cire, on frotte. Le nettoyage du fusil, le nettoyage de la cour de la caserne et le nettoyage d'un village en territoire ennemi, c'est la même chose. On traque les impuretés. On ne devient pas amoureux de la pureté, digne de figurer dans la galerie des grands, du jour au lendemain. Il faut faire ses preuves. Il faut commencer par traquer l'impureté, c'est-à-dire pratiquer l'épuration, au niveau du langage.
Avant de tuer, il est utile de culpabiliser. L'épuration a besoin de consensus. La norme doit être fixée. Par qui ? Par l'usage ? Certes non. Surtout pas. L'usage est imprévisible, donc impur. Ce qui est pur est clair, et par conséquent fixé une fois pour toutes. Le pouvoir en a la responsabilité et en est le protecteur institutionnel. Aussi est-il normal que le pouvoir traque les mots étrangers dans notre belle langue française.
On a vu un ministre enlever la plaque "w.c." et poser à la place le mot français "toilettes". Ce ministre a défendu la langue française précisément là où on se débarrasse des saletés que l'on porte en soi. Endroit hautement stratégique. Il faut un mot français, ça fait plus propre …
Daniel Béresniak - La Rose et le Compas - Montorgueil
Maj 19 10 09 - GA - L0