2 – Une rencontre selon un désir réciproque
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Symboles
Le premier des symboles maçonnique est le "Grand Architecte de l’Univers". C'est au Grand Orient De France que revient l'honneur d'avoir voté la suppression de la référen-ce obligatoire au Grand Architecte de l'Univers. La
Franc-maçonnerie n'admet aucune limite à la recherche de la Vérité. Or imposer le déisme, c'est déjà mettre une limite à la recherche de cette Vérité.
L'obligation de la référence au Grand Architecte de l'Univers dans les travaux maçonniques a donc été supprimée au Convent de 1877. Depuis lors, le
Grand Orient De France est excommunié par la Grande Loge d'Angleterre. Le Suprême Conseil (de la Grande Loge Nationale Française) est depuis lors le seul invité français à ses congrès
internationaux, ce qui n'est plus aujourd'hui d'une grande importance. Mais cet acte libératoire du Grand Orient De France marque l'originalité de son action en le plaçant à la pointe du combat
de la Franc-maçonnerie française en faveur de la liberté de penser.
Un autre symbole maçonnique important est le "Volume de la Loi Sacrée". L'un des critères majeurs
de la régularité maçonnique est de travailler sous l'égide des trois grandes lumières de la franc-maçonnerie : équerre, compas et Volume de la Loi Sacrée.
A l'origine de la franc-maçonnerie - dans les Loges de Saint Jean - cette loi était symbolisée par le prologue de l'évangile de Jean enluminé sur un
parchemin. Puis, il fut remplacé par la "règle aux vingt quatre divisions". Enfin, après l'invention de l'imprimerie, par la Bible, ouverte à la page du prologue de l'évangile de Jean ou au
Premier chapitre du Livre des Rois, qui raconte la construction du Temple de Jérusalem par le roi Salomon. C'est sur les trois grandes lumières que le franc-maçon prête solennellement son
"obligation", lors de son admission dans la franc-maçonnerie.
Le choix de la Bible présentait plusieurs avantages. A l'origine, il ancrait les références de la franc-maçonnerie dans une Tradition immémoriale,
permettait de ne pas effaroucher les candidats, et pouvait accessoirement protéger les francs-maçons contre les persécutions.
Certains Rites ont conservé cette tradition. Le Grand Orient De France remplace la Bible par le livre de sa Constitution. Certaines loges ont adopté
d'autres livres dont l'autorité morale ne peut être contestée (un impétrant de confession musulmane a prêté, dans une obédience chrétienne, son serment sur le Coran - posé sur la Bible, bien sûr
…). Quelques loges font même le choix d’un livre dont les pages sont totalement blanches. Mais cette conception de la liberté absolue de conscience peut laisser pour certains, un champ quelque
peu appauvri d'une méditation sur le vide en l’absence de toute référence.
Une rencontre selon un désir réciproque
Le débat sur la spiritualité maçonnique est en fait celui de l’initiation. La maçonnerie peut-elle prétendre avec des épreuves purement symboliques
apporter au candidat une réelle initiation personnelle, au sens où peuvent le laisser entrevoir certaines traditions initiatiques africaines qui font réellement franchir aux adolescents, de façon
très physique, angoissante et douloureuse, un cap existentiel ? Et les épreuves proposées au candidat franc-maçon sont-elles même réellement nécessaires à son "initiation maçonnique" ?
Le rituel de réception au premier degré du Grand Orient De France de 1887 comporte ce propos que le Vénérable adressait au nouveau frère à l'issue de
la cérémonie de sa réception :
"Frère nouvellement initié, les formes que nous venons
d'employer pour votre initiation diffèrent notablement de celles dont nous usions jadis et que vous pourrez encore voir employer dans certaines loges de France ou des pays étrangers. L'initiation
se faisait fort simplement dans les loges françaises au dix-huitième siècle. On l'a beaucoup compliquée, au commencement du dix-neuvième, en y mêlant des particularités que l'on croyait
empruntées aux initiations de l'ancienne Egypte …
On cherchait à éprouver le courage du récipiendaire par des moyens terrifiants … On lui demandait de se soumettre à l'application d'un fer rouge. On
réclamait de lui une obligation écrite et signée de son sang. Parfois, on le soumettait à des épreuves plus pénibles encore et plus effrayantes …
Vous ne devrez donc pas vous étonner, s'il vous arrive de vous trouver en présence de quelque pratique de ce genre. Vous n'en serez pas troublé, non
plus, sachant que le progrès est lent et que l'évolution humaine est complexe".
Cent vingt ans plus tard, on peut constater combien ce propos reste d'une étonnante actualité …
En réalité, ce n'est pas le fait d’avoir surmonté les "épreuves" de la cérémonie de réception qui fait qu'un profane devient franc-maçon, mais bien la
rencontre préalable entre une volonté personnelle d'entreprendre une démarche initiatique et le vote favorable d'une loge en faveur du candidat. A travers une cooptation se manifeste ainsi l’acte
fondateur de toute démarche spirituelle : une rencontre selon un désir réciproque.
Les rites maçonniques ne sont pas destinés à être des "rites de passage". L’initiation maçonnique propose d’inclure celui le désire réellement, par le
silence intérieur et l’écoute des autres, dans une sorte de colloque conduit de façon rituelle, continue et discrète. Une fraternité aussi forte que possible permet d’y développer et d'y
construire des échanges entre des personnes qui, sans elle, ne se seraient jamais rencontrées et n'auraient pu ainsi appréhender leurs propres préjugés. Ces "rencontres maçonniques"
s’inscrivent dans la longue tradition des entreprises initiatiques collectives. Devenir par soi-même source de réflexion.
On trouve une admirable illustration symbolique de cette tradition dans le Mantic Uttaïr "Le Colloque des oiseaux", écrit par le persan Attar. On peut
y observer que les trente oiseaux qui, selon Attar, débattent ensemble puis partent, à la recherche du fabuleux Simorg, constituent l’effectif idéal d’une loge. La recherche est à la fois
collective et individuelle. Et toute réunion pour un véritable échange de parole est véritablement fondatrice d’une démarche spirituelle personnelle. Le travail en loge se justifie à la fois du
point de vue pragmatique quant aux sujets de réflexion traités, mais également du point de vue initiatique, pour que chacun ou chacune puisse se découvrir "inscrit dans une chaîne d'union".
Dans cette chaîne, la parole qui circule librement, est comprise selon les multiples résonances qu’elle provoque nécessairement pour les participants
et en soi-même. Résonances qui peuvent être aussi bien harmoniques que dissonantes et qui s’achèvent rarement dans un parfait silence. Elles génèrent des ondes qui vont se réfléchir, revenir,
poser question, même sur les sujets les plus pragmatiques, les moins métaphysiques.
Prendre conscience de cette réalité permet alors aux frères de toutes les sensibilités de s'exprimer initiatiquement en loge. L’important est qu’ils parlent de ce qu’ils ont "dans le cœur".
Ainsi, pourront-ils se "donner lieu" de devenir, par eux-mêmes, source de réflexion.
Un enjeu initiatique personnel
On peut alors dégager deux niveaux de "synthèses" des travaux en loge. Le premier niveau, notamment sur les "questions renvoyées à l’étude des loges",
tend à des compromis laborieux entre des sensibilités souvent très diverses ou des tendances que séparent parfois à peine "quelques nuances de formulations". Il en résulte souvent des productions
intellectuelles qui n'ont rien de transcendant et dont l'indifférence générale les condamne rapidement à un oubli définitif. Les "Cahiers de la Liberté" rédigés à l'occasion de la commémoration
du Bicentenaire de la Révolution de 1789 en sont un exemple convainquant.
Le travail en loge sert davantage à accomplir le second niveau de synthèse, celui qui s’effectue en chaque maçon et ne peut se communiquer qu’au delà
des mots. C’est en cela que s’effectue la transmission du "secret maçonnique", dans un rassemblement entre des personnes "libres et de bonnes mœurs" où chacun a conscience d’un devoir personnel,
dans l’exercice de l’échange de la parole et de la recherche du premier niveau de synthèse, celui des mots.
L’enjeu du second niveau de synthèse, initiatique et purement personnel, est l’unité instantanée avec soi-même en même temps qu'il permet d'exprimer
l’échange et l’égalité avec l’autre. Acceptation de sa différence avec l’autre sans peur d’être soi-même différent ou menacé. Unité et réalité d'une double réconciliation, extérieure et
intérieure. Double, et obligatoirement provisoire, comme tout geste de la vie et toute rencontre.
C'est en cela que la franc-maçonnerie libérale peut proposer une véritable spiritualité à partir de ses réflexions sur les questions sociales et
morales. Spiritualité qui va se montrer selon une conception étendue du devoir qui s'impose à chacun, du seul fait d’être capable de parole et d’échange. Spiritualité dont on peut dire qu'elle
est à l’égal de celle des religions, qu’elle est "religieuse" non pas au sens "clérical" du terme, mais au sens "étymologique". Par le lien qu’elle crée tant avec l’autre qu’avec soi-même, lien
et dialogue impliquant un travail persévérant, passant par le doute et le détachement de toute certitude trop bien "ancrée". Travail à la mesure de ce principe selon lequel nul n'est initié que
par lui-même.
A condition d'apprendre à écouter les autres et surtout à les aimer "comme ils sont", selon la formule de Jonathan Livingston à Fletcher le Goéland
: "Ne les juge pas trop sévèrement. En te rejetant, les autres goélands n’ont fait de tort
qu’à eux-mêmes et un jour ils le comprendront … Pardonne-leur et aide-les à y parvenir" - Richard Bach – Jonathan Livingston le
goéland.
Maj 12 12 09 *