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10 juin 2008 2 10 /06 /juin /2008 21:34

Il est d'usage, dans la vie courante, comme dans les grandes négociations internationales, de dire : "il reste encore quelques problèmes technique à régler". Sous-entendu : "l'essentiel est décidé, l'intendance suivra". Malheureusement, à l'échelle planétaire, l'intendance ne suit pas. Et elle suit d'autant moins que les maîtres du monde la négligent …

La technique n'est pas une question subalterne. Le monde pourrait nourrir convenablement les sept milliards d'humains qui l'habitent et même les douze milliards qui l'habiteront en 2100, si les ressources de la technique étaient mobilisées à cet effet, c'est à dire si les cultures des peuples pauvres étaient suffisantes. "Donne un poisson à un homme, il mangera un jour ; apprends-lui a pêcher, il mangera toute sa vie". Bien plus, si le partage du savoir faire technique était effectif, la fécondité des peuples pauvres s'abaisserait spontanément et l'équilibre entre les ressources et la population se ferait naturellement, par l'effet de la volonté des femmes. Utile, la technique est bien plus qu'un outil ! Désormais, l'humanité ne peut plus survivre sans la maîtriser.

La technique est une manifestation des multiples façons par lesquelles l'homme se relie à lui-même et au monde. C'est un dévoilement de l'être. Elle évolue depuis l'aube de l'humanité, mais pas n'importe comment. A chaque époque, ses développements correspondent à des usages sociaux précis. Dès le début de la techno-nature, il y a dix mille ans, le feu sert à cuire les aliments, mais aussi à incendier les forêts pour cultiver sur les terres brûlées au risque de désertifier.

Des inventions comme l'imprimerie et l'ordinateur fond faire des bonds aux sociétés humaines, alors que d'autres leur procurent seulement des améliorations progressives. Les évolutions ne constituent pas un processus continu. Elles se font par paliers successifs et installent, pour un temps plus ou moins long, des systèmes dont les différents éléments se complètent mutuellement, en vue d'un état stable.

Le changement est donc rare car les défenses immunitaires des civilisations contre l'innovation sont efficaces. Certaines ont su geler, pour plusieurs siècles, des techniques courantes concernant la vie quotidienne. La Chine, dès l'an mil, avait inventé la poudre à canon, la pâte à papier, découvert le principe de l'imprimerie à caractères mobiles (cinq siècles avant Gutenberg) ainsi que la mesure mécanique du temps (horloge de Su Sang, en 1090). Mais ces inventions, connues de l'Empereur et de son entourage, n'ont pas atteint la société civile. La société chinoise n'a pas été déstabilisée par ces inventions comme le sera l'Europe du XIIème siècle.

Le futile précède l'utile

La clef de la technologie n'est donc pas dans la grise platitude du couple nécessité-utilité, mais dans le désir. Le vélo, l'automobile et l'avion sont nés de loisirs sportifs de privilégiés. Le futile précède l'utile, le jeu précède l'outil. Pour l'homme, le rêve est un fabuleux accélérateur. Contrairement aux animaux, ce ne sont pas des transformations génétiques, au rythme lent, qui le font s'adapter à son environnement. Ce sont ses rêves.

L'homme a longtemps rêvé d'avoir moins froid, de manger mieux (et plus souvent), de voler, d'aller sous la mer. Il a fabriqué, à l'extérieur de son corps, les organes qui lui manquaient. Il a rêvé … Puis inventé l'agriculture, la piscine, l'air conditionné, les nouvelles espèces animales. Il fabrique actuellement des planètes artificielles dans lesquelles tout l'environnement est issu de son esprit. La technologie et son aboutissement résultent de cent mille ans de rêves.

Le réalisme des rêves

De tous temps, l'homme a utilisé le rêve pour comprendre le monde. Comme l'enfant trouve dans le jeu (où il devient successivement docteur, aviateur ou instituteur), la force nécessaire pour préparer son passage à l'âge adulte, le créateur ne peut concevoir qu'après un détour par l'imaginaire. Dans un très grand nombre de cas, le rêve du créateur passe par un impérieux désir d'unification, de suppression de barrières, en apparence solides. Le progrès scientifique ou technique est presque toujours lié à la recherche d'une meilleure compréhension du monde.

Le meilleur exemple d'une telle fécondation originale date de 1637. Dans sa "Géométrie" - essai complémentaire de son discours sur la Méthode - Descartes a bouleversé la science en réunissant Algèbre et Géométrie sous une même bannière. Bravant un interdit séculaire, il a ainsi ouvert à la mathématique un espace libre encore inconnu et décuplé sa puissance. Depuis, les retombées de cette innovation profonde ont illuminé toutes les sciences.

La mathématique passe, auprès de ceux qui la subissent, pour une discipline trop rigoureuse, étouffant l'imagination. A regarder son histoire, il apparaît au contraire que son véritable rôle n'est pas de mettre en coupe réglée le raisonnement, mais de faire apparaître des êtres nouveaux qui semblaient impossibles. Les pythagoriciens dissimulèrent que la racine carrée de deux était un nombre "irrationnel".

Ce qui aurait pu être le point de départ de nouvelles recherches est resté un secret d'alcôve d'une sorte de secte. Et il a fallu attendre le XVIIIème siècle pour que les nombres irrationnels aient le droit d'exister. Leur nom dit, à lui seul, les résistances qu'ils ont suscitées. Vinrent ensuite les transfinis, les nombres imaginaires, les espaces non euclidiens, les fractales et les catégories qui font, en quelque sorte, abstraction de l'existence des objets pour ne s'intéresser qu'à leurs relations.

Chaque fois, le dépassement des habitudes de pensée antérieures permet l'éclosion de nouvelles fleurs de l'esprit qui définissent d'autres lectures de l'ordre du monde. Savoir accepter l'imaginaire est la marque d'un créateur, dans tous les temps et tous les domaines de la pensée et de l'action. Les exemples abondent prouvant que la réalisation de quelques rêves fondamentaux de l'humanité a été rendue possible par la réunion, à priori incongrue, de domaines séparés. L'envol a été rendu possible par l'union de deux mécaniques des fluides : celle de l'eau et celle de l'air, que l'on croyait distinctes.

L'ubiquité, aujourd'hui rendue au moins partiellement possible par le téléphone ou la télévision s'appuie sur la fusion des pouvoirs de l'électricité et du magnétisme. La lévitation n'est plus impossible depuis que peuvent se conjuguer deux univers jumeaux et rivaux que sont l'onde et le corpuscule, dans le domaine de la supraconductivité. Enfin, l'apocalypse nucléaire est jaillie de la rencontre foudroyante de la masse et de l'énergie, symbolisée par une équation hélas célèbre depuis le 8 août 1945.

On peut, de même, montrer que l'utilisation à contre courant d'un outil ancien, apparaît, chez les grands noms de la science et de la technologie, comme une clef décisive pour expliquer leur créativité. Ainsi, comment ne pas voir que Newton a connu son plus grand triomphe en sachant relier deux mondes à priori contradictoires : le mouvement des astres, qui restent "en l'air" et la chute des corps, qui "tombent lourdement".

Même si l'exemple de la pomme n'a été pour lui qu'un moyen de faire sentir la démarche de sa pensée, l'idée incroyablement hardie - sinon complètement stupide aux yeux de ses contemporains - de "voir" que la lune (contre l'évidence apparente) "tombait, elle aussi, sur la terre", à la manière de n'importe quel corps banal, lui a permis de concevoir la gravitation universelle. Newton, conscient de son génie, recherchait bien une "universalité", simplificatrice du système du monde, brisant ainsi le tabou de la classification réductrice (monde terrestre - monde céleste), dont personne n'avait encore osé s'affranchir.

Le processus d'innovation

Il existe, dans le champ des grand rêves de l'humanité, exprimés dans les mythes et les religions, une grille de lecture utilisable pour donner un modèle du processus d'innovation. En schématisant, toute chose peut être distinguée selon trois aspects : l'aspect matériel (concret), l'aspect affectif (énergétique) et l'aspect conceptuel (structurant). En termes anciens, ces trois aspects sont respectivement : le corps, l'âme et l'esprit des choses. Le processus de l'innovation se déroule de la même manière dans les sciences, les arts et les techniques. Il comporte trois étapes : la conception (le créateur), l'organisation (l'entreprise), la socialisation (le marché).

Juste avant la seconde guerre mondiale, un certain André Lefevre dirige le bureau d'études des usines Citroën. Il a acquis, grâce au succès de la traction avant, une crédibilité suffisante pour se permettre d'imposer les vues les plus audacieuses, bien qu'il ne soit pas un "ancien de la maison". Il veut faire un véhicule destiné aux classes populaires, jusque là non motorisées. Il dit : "faites moi un parapluie à roulettes" … Cette idée paradoxale, mobilise le bureau d'études. C'est un défi. Pour faire moins cher, le prototype n'aura qu'un seul phare. Et la Deux Chevaux sera la voiture la plus vendue de l'après guerre.

A chaque stade, chacun de ces trois objets concerne des groupes d'hommes différents : entre un et dix individus au plus au moment de la germination du projet, une entreprise de taille déjà plus considérable pour le temps de l'organisation, enfin un ensemble énorme constitué d'un marché de plusieurs millions de personnes. Conception, organisation et socialisation (enfance, formation et vie adulte) sont donc les trois temps des métamorphoses successives qui rythment la vie d'un projet. Puis, pour chaque produit, vient le temps de la disparition. Il meurt, comme Osiris, inévitablement. Et il renaîtra peut-être à travers d'autres rêves …

L'innovation et la société

Considérons maintenant le système technique, pris dans son ensemble, dans son rapport avec les sociétés. L'innovation technologique peut avoir des effets déstabilisateurs sur la société. Pour schématiser, on peut dire que le système technique, à chaque époque, s'organise autour de quatre pôles : la matière, l'énergie, la structuration du temps, la relation avec le vivant.

Dans le Haut-Moyen Age, lorsque les chevaliers partent aux croisades, le basculement de la technique va s'organiser autour de la matière. Il se résume en un mot : le défrichement. L'espace agricole, qui n'était exploité que de manière parcellaire, est mis en culture et structuré de manière ordonnée. Parce qu'il est devenu permis - et possible - de défricher. Et que les outils (le soc de charrue, en fer) sont disponibles. Cette ouverture dans laquelle s'engagent à la fois les intendants des domaines féodaux et les monastères cisterciens, semble liée à la baisse du danger, car la chevalerie a emmené aux croisades tout ce qui peut combattre.

L'agriculture s'installe tranquillement. Même les interdits officiels ne sont plus respectés. Sur le plan philosophique et religieux, les interdits sont aussi transgressés. La doctrine sacrée de l'église est mise en doute. Le germe de l'esprit scientifique apparaît. La prospérité économique bouillonne. La population augmente. Elle double entre 1100 et 1300. Mais dès l'approche des saturations, peu avant 1300, la technologie du quotidien se fige, préludant au grand déclin des années 1300 – 1500.

La Révolution Industrielle du XIXème siècle se structure non plus autour de la matière, mais autour de l'énergie. C'est l'époque du machinisme, avec d'abord, la machine à vapeur, puis le moteur à explosion, qui exploitent tous les deux la puissance motrice du feu. La permissivité s'ouvre au Siècle des Lumières. Comme au Moyen Age, une minorité apparaît en réaction à une majorité conservatrice. Les développements des sciences permettent de remettre en cause les pratiques traditionalistes des corporations. La concurrence internationale presse. Les conditions sont favorables à l'accueil des inventions. La trajectoire de l'industrialisation, comme celle du défrichement dure deux siècles (1750 – 1950) …

Actuellement une déstabilisation de grande ampleur comparable est entrain de s'accomplir, menant à la construction d'une société de l'intelligence. Elle s'articule sur la structuration du temps. La microélectronique n'est pas autre chose que la possibilité de programmer des évènements qui se déroulent en nano-secondes. La permissivité, du fait de l'ouverture mondiale des marchés déréglementés est là. La transition durera entre un à deux siècles ...


Maj 19 10 09 - GA - L0
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