A voir Un site remarquable sur la cathédrale de Chartres
Au XIIIème siècle, dit Louis Gillet, la cathédrale toute entière devient un immense bas-relief, une prodi-gieuse
cristallisation d'idées, une construction morale aussi liée et aussi logique que son architec-ture. On dirait une de ces montagnes d'Egypte couvertes de signes sacrés, où la matière devient
esprit et l'on ne peut douter, en un sens, qu'elle ne soit un immense hiéroglyphe, un rébus, un mystère.
On ne peut songer à analyser ici dans le détail les statues et les vitraux, ni à décrire les personnages en distinguant les époques et les talents, mais il y a là, on l'a dit, un véritable miroir
du monde. De la Genè-se au Jugement Dernier, il y a là toute l'histoire depuis le premier jour jusqu'à la fin des temps, la création, les patriarches, les prophètes, les rois, toute la
Bible.
Il y a la naissance de Jésus, son enfance, sa vie sur la terre, ses miracles, sa passion et l'espérance du matin de Pâques. Il y a les apôtres, les saints, les martyrs, les vierges, l'église, la légende. Toutes les grandes cathédrales possèdent un calendrier de pierre. Paris, Amiens, Reims ont, comme Chartres inscrits dans leurs portails et leurs vitraux les signes du zodiaque associés aux travaux des mois. Il y a là le cours des astres et des saisons, les occupations de la terre, l'horloge de la vie et, associé aux symbolismes opposés mais complémentaires du ciel et de la terre, le troisième élément de la triade universelle : l'Homme véritable, en tant que fils du ciel et de la terre, et l'Homme transcendant, le Roi du monde, en tant que médiateur entre le ciel et la terre. Il y a là le bien et le mal, les vertus et les vices et, parmi ce que l'on a coutume d'appeler "les béatitudes", les trois piliers du Temple : la Sagesse, la Force et la Beauté. Il y a là le tableau des sciences, l'échelle des arts libéraux et des connaissances humaines, l'Agriculture personnifiée par Adam, la Métallurgie figurée par Tubal-Caïn et, la Magie représentée par un personnage qui terrasse un dragon ailé, symbole de la pierre philosophale qui change en or tous les métaux.
Il y a là l'homme tout entier avec sa vie de tous les jours, ses joies, ses peines, ses travaux, ses études, le drame de ses origines et celui de sa fin, le mystère de la vie et celui de la mort. Il y a là l'épopée gigantesque de l'aventure humaine. Il nous faut retrouver le secret du langage perdu dans l'harmonieux dédale de cet univers transparent d'idées et de symboles, car tout ce qui s'est inscrit dans l'âme humaine y demeure à jamais, transformé mais non aboli.
Une invitation au voyage
Bien au-delà des fanatismes dogmatiques et des délires ésotériques d'une littérature dont l'hermétisme, qui se veut de vulgarisation, reste trop souvent d'une navrante vulgarité, l'Art Sacré constitue pour nous tous une authentique "invitation au voyage" - invitation patiente et renouvelée dans le silence - chacun restant libre de partir s'il le veut et quand il le voudra. Le véritable sens du voyage, disait Charles Péguy, "ce n'est pas de découvrir d'autres paysages, mais bien de les regarder avec des yeux différents". Car l'apparent n'exclut pas le caché. Les hommes l'ont pressenti depuis toujours. Et les meilleurs d'entre eux - et les plus sages - ont compris que l'acte de voir ne se réduit pas seulement à ouvrir les yeux, mais qu'il nous oblige parfois à les fermer, afin de contempler l'être que nous sommes. De là sont nées deux langues différentes : celle du "visible" et celle de "l'invisible", celle des objets extérieurs et de leurs signes et celle du sujet intérieur et de ses symboles, celle des collectivités et celle des communautés, celle de l'Education et celle de l'Initiation.
A l'heure où notre civilisation chavire dans les naufrages des boat people, dans les génocides aux portes de notre continent et dans le martyre de l'enfance assassinée, je vous convie tous devant ce "livre de pierre", afin que l'on ne dise pas devant ce Livre "que Jésus est né et puis qu'il est mort et que tout a recommencé ensuite comme auparavant. Mais au contraire, que Jésus est né, qu'il est né hier, qu'il naîtra demain, qu'il sauvera le monde et qu'il y aura espérance pour nos enfants qu'ils dépassent l'âge de trente trois ans. C'est - dit Alain - l'âge où l'Homme-Dieu est tout à fait un Homme" …
Article publié dans HUMANISME N° 131-132
Septembre - Octobre 1979 – pp. 55-57
MAJ 20 11 2010