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2 septembre 2008 2 02 /09 /septembre /2008 16:53

                           Les Mystères d’Eleusis (Rite initiatique).

2
- Les mystères -

De toute la hiérarchie d'initiations qu'on peut déceler, organisée en 7 étapes : Petits Mystères, Grands Mystères, Epoptie, et ensuite Holoclères, Sacerdoce, Initiation royale, Initiation suprême, on voit se dégager l'appétit de purification, l'ambition de se libérer des contraintes, des astreintes, de la matière, de la gangue de chair et de corps et l'aspiration, au-delà des passions, aux retrouvailles avec soi-même, libéré des chairs et des sangs, le goût d'appréhender le Monde et la Vie, la véritable Vie, qui serait celle de l'Esprit, curieusement tendu vers l'Un, l'Unité, par réunion de la Pensée et de l'Ame.

Le chemin vers cette vérité apparaît long et difficile, impose des guides (mystagogues), des recherches et des efforts … Il s'engouffre dans une descente sous terre, par l'Obscur, revient dans une ascension vers la Lumière, sur le chemin haut de la Vérité, avec l'espoir de parvenir dans la vie à la Connaissance …

Au travers du Mythe et de ses Mystères, on perçoit l'angoisse de l'éphémère et du sens de la vie individuelle qui conduit à la mort, avec la question lancinante du Sens … Pourquoi cette descente ? Cette incarnation de la Pensée et de l'Âme, dans la chair, la matière, la douleur, le quotidien ? Et quel destin après la mort ? Et déjà l'idée d'avoir à préparer le séjour dans l'Au-delà, en vivant la mort, avant de mourir, pour s'assurer du bonheur dans l'Autre monde …

Et qui, mieux que des morts, qui connaissent déjà le royaume d'Hadès, peuvent enseigner, initier le Chemin et le Destin … La Vie après la mort ? Qui. mieux que Coré, qui revient chaque printemps des mondes souterrains, pour dire aux hommes mortels ce qui s'y passe, ce qu'il faut faire … Et comment ?

Au moins, malgré le secret, sait-on que les mystères font mourir le myste font parcourir le chemin du mort qui se dépouille de sa parole, de sa fortune, de ses vêtements même, en allant nu, dans le gouffre étroit, obscur, un bandeau sur les yeux, reconnaître le parcours pour ressusciter en remontant vers la Lumière, en Haut … Aspiration à la Vie, guidé par ceux qui connaissent. Initiés holoclères, mieux que quiconque …

Au moins sait-on que le Mystère montre, révèle, annonce le Chemin et la Direction et rassérène, en ouvrant les voies du Bonheur, malgré la "faute folle" qui condamne les mortels à vieillir, à mourir, qui intègre la mort à la vie, faisant comprendre la mort comme la fin naturelle de !a vie, en laissant l'espérance de la Vie, au-delà de la Mort …

Des indices, des signes, des symboles sont donnés, lisibles, perceptibles par le Franc-maçon, qui croit les reconnaître pour avancer en pays familier, au point de retrouver ses sources de Tradition et ses moyens de connaissance, trouvant à relier ses propres pratiques rituelles à un fond antique universel, donnant sens à ses propres mystères modernes qui s'en trouvent éclairés …

Que la Vérité soit inséparable des moyens de sa recherche et qu'elle se tienne dans l'indicible, que son appréhension relève de l'Intuition et qu'elle passe par l'Emotion éclaire le processus des rites et la kyrielle des symboles !

Que la Vérité soit accessible parce qu'il y a des Lois compréhensibles par l'esprit de l'homme, même si cette appréhension est difficile, peut rasséréner l'Ame angoissée, puisqu'il est possible d'y parvenir, même si on ne sait pas parcourir tout le chemin jusqu'à la plus haute lumière : "Car jamais l'œil ne verrait le soleil s'il n'était semblable au soleil et l'Ame ne verrait pas le beau si elle n'était devenue belle". (Platon).

Du peu que l'on connaisse de ces Mystères, si bien gardés, si peu transgressés, de ces Mystères "qu'il est impossible de pénétrer", on sait quand même que l'initiation au troisième grade fait à l'Epopte la Révélation ultime par le symbole de l'Epi de blé moissonné en silence appelé "l'illuminateur parfait" et du Phallus dressé pour la génération.

Par ce chemin, l'Initié voyage de l'obscurité vers la Lumière sous le mystère de Sceau dépouillé de tout ce qui est corps et âme, réduit à la Monade qui n'a ni qualité physique, ni dimensions, ni liens dans l'espace "Unité parfaite, principe des choses matérielles choses matérielles et spirituelles" … Le voilà qui descend un long couloir obscur, en silence, les yeux bandés à la recherche de la lumière et de la raison qui gouverne le monde (logos), symbolisées par l'Arbre de Vie où l'on cueille un fruit, sous le mystère du Sceau, qui le conduit dans le chemin aidé par un mystagogue, il progresse vers la lumière lointaine, élevée.

Par cette ascension hors de la caverne il accède à la Vérité … Lumière éclatante, contemplation du dieu révélation du "dieu unique", "identique par essence à tous les dieux" … Révélation de l'Un, Unité dans la Lumière éclatante, au moment où l'on moissonne l'épi de blé, symbole du Phallos qui symbolise lui-même "autre chose" pour la Connaissance Intuitive … L'épi gorgé des lumières du soleil symbole de la vie semée dans l'homme à sa naissance. Le "phallos dressé pour la génération" gorgé de toutes les énergies de l'homme, rassemble la lumière de vie pour générer, perpétuer, renaître et exprimer l'essentiel de la vie, la vie essentielle.

Or, dans l'initiation, le hiérophante qui s'unit à la prêtresse de Déméter pour célébrer l'Union, est rendu infécond par la ciguë et l'accouplement se précipite dans le spirituel. Le Phallos pour symbole de la lumière semée dans l'homme qui naît, symbole de la raison humaine produit de l'union de la Pensée et de l'Âme.


                           (Source : Homère, Hymnes à Déméter - Paris, Les belles Lettres, 1997, pp. 42-58).


Maj 19 10 09 - GA - L0
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1 septembre 2008 1 01 /09 /septembre /2008 17:17

Les Mystères d’Eleusis (Rite initiatique).

3
- La vie et la mort -


Déméter puise la vie,
vie végétale
et donc animale
et donc humaine ...

Déméter riche de la Vie
et Coré
qui connaît
les mondes souterrains
et le destin des mortels,
au-delà de la mort,
insuffle l'espérance
d'un destin après la mort,
d'une renaissance,
résurrection,
au symbole du printemps et de l'été
rythme les saisons,
les alternances
et les pérennités.


Et les Rites sacrés,
impénétrables,
qui font appel à l'Emotion,
à l'Intuition,
p
ar delà la connaissance raisonnée,
sous la conduite des guides initiés,
mais humains, qui connaissent,
permettent de vivre,
de comprendre,
dès avant que d'être mort,
le destin du mortel,
sa réduction au Tout,
à l'Un,
incluant les diversités et les avatars
du monde incarné dans la chair et la matière.


Si les rites
mènent à la Connaissance Intuitive
par l'émotion des initiations
en dépassant la connaissance raisonnée,

Si les mystagogues,
ces hommes initiés qui savent
conduire vers la Connaissance,
en révélant la Mort
avant que d'avoir à mourir,

A quoi dès lors sert-il de mourir,
si l'on sait avant la mort,
ce qu 'il y aurait après la mort ?

A quoi sert-il de mourir
si l'Initié
connaît déjà
la Mort de son vivant
? ...

Dès lors il reste à Vivre ...


(Source : Homère, Hymnes à Déméter - Paris, Les belles Lettres, 1997, pp. 42-58).


Maj 19 10 09 - GA - L0
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27 juillet 2008 7 27 /07 /juillet /2008 04:41

Dieu n'est pas une Invention ... C'est un Mythe ... La mythologie est l'écume du potage qui bout dans la marmite des sorcières. Il y a deux mille ans, la rupture annoncée par le cri : "Le Grand Pan est mort", a permis une avancée prodigieuse de notre savoir, de notre culture, de notre spiritualité. Et voici que deux mille ans après cette première annonce, surgit la seconde : "Dieu est mort", nous n'irons plus au bois, les lauriers sont coupés ... Tous les systèmes, toutes les idéologies, toutes les représentations, ne se construisent qu'avec les débris des dieux perdus. Et chaque religion n'est peut-être qu'un morceau du miroir brisé d'Aphrodite ...

Les mythes sont des récits dont les personnages sont des êtres surhumains. En grec, le Mythos désigne un récit imagé, qui s'oppose au Logos, le "Verbe", qui est un récit raisonné. Le mythe est donc le mensonge qui contient du sens. Il doit être l'objet d'étude sous la Rose et Compas en main. Il nous faut donc, si nous voulons devenir libres, choisir de devenir mythologues si nous ne voulons pas demeurer mythomanes ...

Pourquoi croit-on aux mythes ? Probablement pour trois raisons essentielles. D'abord, parce que s'ils sont absurdes au plan rationnel, les mythes dissimulent sous le voile de contes fantastiques des vérités profondes. Ensuite parce qu'il n'est pas rare que les mythes se fondent sur un événement historique réel, déformé par l'imagination populaire. Enfin, comme le souligne Julien Gracq, dans la préface du Roi Pêcheur, parce qu'on ne nous laisse plus ignorer aujourd'hui, que ce dont il est question dans les mythes, c'est essentiellement de notre époque avant toute autre.

Alors, comment aborder une approche des mythes avec un regard résolument tourné vers le futur ? ... Peut-être en se demandant pourquoi il est impossible d'éviter de réfléchir son propre portrait dans le miroir qu'est par définition un mythe. Car il n'existe aucun lecteur sérieux qui n'ait trouvé dans un mythe, autre chose que sa propre image. Voilà qui place le mythe au cœur du véritable étonnement philosophique, au chapitre des miroirs. Et le piège dans lequel le mythe prend tout lecteur, est qu'il ne nous permet pas d'échapper à l'autoportrait, du moins après avoir tenté de jeter un regard vers le miroir qui nous regarde. Car en fait, la véritable question est bien de savoir comment est monté un mythe en forme de miroir. Et l'on essaiera donc d'observer comment le miroir est construit en tant que lieu spéculaire des métamorphoses de notre propre moi symbolique, sans jamais oublier que le mythe ne s'exprime lui-même qu'en langage symbolique et que l’idéal ultime, en raison de la difficulté de sa réalisation, reste toujours lointain et indicatif.

La Quête est une notion fonctionnelle fondamentale dans le conte populaire et, dans le mythe, la Quête est accomplie par le héros, en vue de combler le manque caractéristique de la situation initiale. D'autres récits sont, d'un bout à l'autre, des quêtes sous des formes très variables (guerre, poursuite, voyage, méditation) en vue d'objectifs les plus divers : Toison d'or - pour les Argonautes, épouse - au début de la légende de Tristan et Yseut, secret - dans le roman policier, mais aussi la recherche de l'absolu - de Balzac, ou à la recherche du temps perdu - de Proust. La littérature médiévale offre un exemple particulièrement frappant de quête, dans le cycle romanesque immense consacré à la Quête du Graal liée, dès Chrétien de Troyes, à la matière arthurienne. La curiosité du lecteur est sans cesse détournée de l'histoire (on sait parfaitement d'avance comment tout finit) vers un sens qui n'est jamais donné en entier, sauf à Galaad - qui meurt dans l'extase du secret révélé. Quant à la littérature de la Renaissance, elle propose le "Cinquième et Dernier Livre des faits et dits héroïques du bon Pantagruel, auquel il est contenu la Visitation de l'Oracle de la Dive Bacbuc, et le Mot de la Bouteille, qu'afin d'en avoir communication, est entrepris tout ce long voyage - Livre nouvellement mis en lumière en 1564" - Fin de citation.

Jason, le chef de l'expédition de la Toison d'Or, fut le premier héros qui, en Europe, entreprit un long voyage. La portée générale, confirmée par tous les détails de l'histoire fabuleuse, se trouve déjà exprimée par la signification du nom des héros réunis : Argonautes, tous navigateurs, embarqués à bord de l’Argo, qui signifie le Vaisseau Blanc. Le blanc étant symbole de pureté, l'Argo devrait les conduire vers la purification. La nature de l'expédition se trouve encore plus clairement désignée par son but : la conquête de la Toison d'Or. L'or couleur est représentatif de la spiritualisation, tandis que la Toison, le bélier, est symbole de sublimation. La Toison d'Or à conquérir indique donc que le but symbolique de l'entreprise est la conquête de la force de l'esprit et de la pureté. La Toison d'Or est suspendue à un arbre, symbole de vie, et gardée par un dragon, symbole de pervertissement. Le héros doit "tuer le dragon" pour pouvoir s'emparer du trésor sublime.

Mais il se peut aussi que le héros s'empare du trésor sous sa signification perverse. Tel est le sens général qui peut se dégager du thème autour duquel sont concentrées toutes les images du mythe. Il faut cependant observer que pour Jason, qui se trouve à la tête de l'expédition, la conquête de la Toison d'Or n'est qu'une condition à remplir afin de pouvoir accéder au trône royal de son père. Et le dilemme essentiel sous-tendu par le mythe de la Toison d'Or est bien de savoir dans quel état d'esprit le héros exercera le pouvoir, lorsqu'il l'aura acquis. S'il trouve la signification sublime du trésor (s'il sait dominer la passion du pouvoir), son règne sera juste. Mais s'il ne trouve que la signification perverse du trésor, (s'il n'aspire au pouvoir que pour le pouvoir), son règne sera celui d'un tyran. Ainsi, de la réussite ou de la défaite du héros, dépend le sort du pays qu'il gouvernera, et ce pays est une représentation symbolique du monde entier. C'est donc le sort de l'humanité qui dépend de cette réussite ou de cette défaite.

Jason ne tente pas l'aventure seul, ce qui est à la fois assez exceptionnel et très significatif. L'Argo conduit les navigateurs vers Colchos, le pays de la Toison d'Or. Ils voguent sur la mer, symbole de vie, dont ils doivent toutefois affronter les dangers. Et après avoir surmonté bien des difficultés et évité tous les écueils, l'Argo accoste enfin à Colchos mais, présage funeste, une partie du gouvernail a été emportée. Le roi de Colchos exige, pour remettre la Toison d'Or à Jason, qu'il réussisse à atteler deux taureaux sauvages que nul n'a jamais pu parvenir à dompter et qu'il laboure ensuite un champ qu'il devra ensemencer avec les dents d'un dragon. Mais Jason, peu confiant dans ses propres forces, se lie avec Médée, la fille du roi, qui est magicienne, ce qui n'est en réalité qu'un calcul vulgairement utilitaire, pour surmonter sans risques les épreuves imposées par le roi. Et Jason ne tue pas en combat héroïque le dragon qui garde la Toison d'Or. Héros défaillant, il l'endort en utilisant un philtre préparé par Médée et parvient ainsi à se sauver en dérobant le précieux trophée.

Les images de la fin du mythe figurent le châtiment de Jason. Le symbolisme des travaux escamotés a servi à figurer l'attitude perverse qui caractérisera le règne de Jason. Après s'être servi de Médée, il l'abandonne et elle devient alors l'instrument fatal de sa punition, en tuant, de ses propres mains, les enfants de leur union. Jason, las de traîner son désespoir à travers le monde, vient un jour se reposer à l'ombre l'Argo. Mais il est écrasé par une poutre qui tombe de l'épave du navire qui aurait dû le conduire jusqu'à son idéal. Ainsi, Jason a voulu se reposer à l'ombre de sa propre gloire, croyant qu'elle suffirait à justifier sa vie entière ou à lui permettre d'en oublier les déboires passés et le vaisseau, symbole de l'espoir héroïque de sa jeunesse, devient alors celui de la ruine finale de sa vie. C'est en cela que l'on peut considérer le mythe de la Toison d'Or comme typique de la quête manquée.

"Ici, Tout est Symbole". Cette affirmation répétée au cours de la cérémonie de réception au premier degré est chargée de sens, parce qu'elle annonce la valeur de la démarche et celle du programme : la recherche du sens au delà de l’apparence. Après son apprentissage et son compagnonnage, le Franc-maçon médite sur la passion d'Hiram. Il apprend alors que les maîtres disposent pour se reconnaître d'un mot substitué, dont ils portent les initiales sur leur tablier et savent donc la Parole d'origine disparue. Plus tard, il comprendra le but de la démarche : la recherche de la Parole Perdue. La Parole est perdue pour ceux qui croient avoir tout vu, tout dit... Et qui disent "qu'il n'y a rien à voir". La Parole est effectivement perdue lorsqu'on n'est plus à même de produire une parole nouvelle à propos des symboles. Ceux qui croient en avoir épuisé le sens ont, en réalité, probablement atteint les limites de leurs propres moyens. Car le symbole est le langage du sens. Et le sens est ce qui génère des significations. Il faut aller du sens à la signification. Ainsi, la Parole Perdue est-elle toujours à retrouver et sa quête exige une remise en question permanente et douloureuse de toutes les certitudes acquises antérieurement ...

Toutes les traditions font allusion à un bien perdu ou disparu. Paradis ou Parole, quel que soit le bien, il est toujours porteur du même réseau de significations. Muni du mot substitué et désirant retrouver La Parole, le Maître Maçon explore les paysages proposés par les rites. Mais le voyage initiatique n'est accompli que par celui qui ne se contente pas de la parole substituée. Celui-là demande l’essentiel ... Encore faut-il qu'il garde son esprit critique et qu'il conserve un certain humour, afin de ne pas devenir un dévot béat qui attend une révélation de la part de ses maîtres. Ainsi, au départ, dès le commencement du voyage, il doit savoir que la Parole Retrouvée ne pourra "se dire". Elle sera montrée, sortie d’une boite, sous l’égide de la rose, sous forme d’initiales, qui sont le Symbole du MOT et non Le MOT lui-même, enfin décrypté.

Bien des années après sa réception, l'initié se souviendra toujours de la minute où, sortant de la nuit, il a eu la vision du temple en recevant la lumière. Il comprendra alors que l'initiation ne subsiste que par l'attention qu'il porte à son propre secret et que le secret véritable est inaccessible par une approche individuelle strictement intellectuelle. Le véritable sens du secret est lié à une recherche de la vérité fondée sur un vécu personnel qui ne peut être ni transmis, ni publié. C'est pourquoi, ceux qui refusent de fournir les éléments susceptibles d'éclairer la perception intellectuelle du phénomène initiatique ont sans doute beaucoup moins le sens du secret qu'un goût certain pour la dissimulation.

Connaître, ce n'est point démontrer ni expliquer. C'est accéder à la vision. Mais pour voir, il convient d'abord de participer ... Cela est un dur apprentissage. C'est pourquoi on cherche toujours "des hommes - et des femmes - de bonne volonté". Car dans le propos de la franc-maçonnerie initiatique, il y a ce risque fou, pris sans doute sans que chacun en mesure bien la portée : créer, construire une religion sans église, vivre une fraternité fondée sur les grandes vérités humaines, créer une communauté qui ne repose plus sur le combat pour le pouvoir, sur l'entreprise dominatrice, sur la volonté de primer, mais sur la joie d'être et l'exaltation des modalités généreuses de l'être. Qui a mesuré la force de libération de cette révolution métaphysique ? Etre un saint sans dieu, disait Camus ... Y a-t-il une gageure plus redoutable, plus libératrice et plus exigeante à la fois ?


Maj 19 10 09 - GA - L0

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8 juillet 2008 2 08 /07 /juillet /2008 10:04

 

La notion de sacré est-elle maçonnique ? -

Le sacré, "Ne s’agit-il pas de religion ?" direz-vous. Si… C’est bien de cela qu’il s’agit. Mais de bien davantage encore. S’il importe de préciser la notion de sacré, il est important l’appréhender dans le référentiel maçonnique. Car la Franc-Maçonnerie, à travers ses diverses obédiences et les différents rites pratiqués par les Loges reflète des conceptions fort diverses et témoigne souvent de sensibilités très éloignées : approche religieuse de la destinée de l’homme et du sens de l’existence pour certains, morale laïque, non dogmatique pour d’autres. Est-il besoin de croire en Dieu pour ressentir une présence du sacré en écoutant les Préludes de Bach ou le Requiem de Mozart ? N’y a-t-il pas du sacré, dans la nature de l’homme, aux yeux de beaucoup d’athées ? Bertrand Russel, agnostique déclaré et lucide, s’il en fut, rapporte ses expériences pour ainsi dire "mystiques" du surgissement du sacré. 
Pour Régis Debray, Le sacré est une abstraction fumeuse, mais les lieux et les livres sacrés se portent à merveille : "Allez cuire un œuf sur la flamme du Soldat Inconnu ou ouvrir une crêperie sous le portail d'Auschwitz ! 

 

Note du 10 novembre 2010 - La ville de Ballan-Miré, en Indre et Loire, est la seule ville de France jumelée avec la ville d'Auschwitz. Le nouveau maire, qui considère que les festivités du jumelage ne sont pas respectueuses du devoir de mémoire, menace de dénoncer le jumelage de sa ville, en cas de maintien du projet de construction d'un hypermarché à proximité du camp de concentration où ont été exterminés plus d'un million de Juifs au cours de la dernière guerre mondiale.


Quelle communauté humaine, athée ou non, n'est-elle pas flanquée d'un sacrilège puni par la loi ?".  Pour vivre ensemble, il faut que les hommes aient en commun quelque chose de plus grand qu'eux - un dieu, une nation ou un idéal, une journée mythologique dont ils se souviennent ensemble. En clair, nous avons besoin de sacré, qu'il soit ou non religieux. Même dans un plat pays, vous trouverez un haut lieu, enclos, crypte ou tour. Un point de rassemblement, matérialisant le point de référence mythique, événement, héros ou mythe fondateur qui cristallise une identité. Le sacré précède le religieux et lui survivra.  Au temps de Stonehenge, il n'y avait pas de religion, mais il y avait du sacré. Et quand une religion s'en va, un sacré repousse tout seul, puisque ainsi s'appelle ce qui permet à un tas d'individus de se vivre comme un tout. On ne se déprend pas du sacré en le sécularisant. Michelet l'a fort bien dit pour la Révolution. 

Il y a donc sacré et sacré et la différence apparaît entre ce qui concerne la divinité - qui correspond au concept de "croyance" (sacer - sacerdoce) - et ce qui doit inspirer un respect absolu  et inviolable - qui correspond à celui de "tabou" (sacri - sacrilège). Laissant la croyance aux religions, nous savons que dans notre société mercantile, tout a un prix ou une dignité. Le sacré, c’est ce qui n’a pas de prix, ce qui ne se marchande pas … Pour Roger Caillois, auteur de "l’homme et le sacré", est sacré : "L’être ou la chose ou l’idée à quoi l’homme suspend toute sa conduite, ce qu’il n’accepte pas de remettre en discussion, de voir bafouer ou plaisanter, ce qu’il ne trahirait ou ne renierait à aucun prix". Pour Robert Badinter, "Ce n’est pas parce que les assassins sont sacrilèges, que la vie humaine n’est pas sacrée". Pour les Francs-Maçons, la tolérance mutuelle, le respect des autres et de soi-même, la liberté absolue de conscience, l’amour fraternel, possèdent bien l’intangibilité et l’inviolabilité de ce sacré là.

Selon Eliade, l’expérience du sacré implique des notions d’être, de signification et de vérité. Il lui semble difficile d’imaginer comment l’esprit humain pourrait fonctionner sans la conviction qu’il y a quelque chose d’irréductiblement réel dans le monde. La conscience d’un monde réel et significatif est intimement liée à la découverte du sacré. Par l’expérience du sacré, l’esprit humain appréhende la différence entre ce qui se révèle comme étant réel, puissant, riche et significatif, et ce qui est dépourvu de cette qualité, c’est à dire le flux chaotique et dangereux des choses, leurs apparitions et disparitions fortuites et vides de sens. Le sacré est un élément dans la structure de la conscience et non un stade dans l’histoire de cette conscience.

 

La voie du sacré est une quête et donc naît d'une insatisfaction de l'être par rapport aux explications contextuelles de son existence. Les francs-maçons, tout au moins ceux qui pratiquent la franc-maçonnerie libérale, sont libres de croire ou de ne pas croire. La Franc-maçonnerie libérale se refuse en effet à toute affirmation dogmatique et considère que les conceptions métaphysiques relèvent de l’appréciation individuelle de ses membres. Si les religions se posent en pourvoyeuses de sacré, tel n’est pas le rôle de la Franc-Maçonnerie. Elle n’a pas à dire le sacré. Chacun peut ou doit donc le chercher, sinon le trouver, selon sa propre "voie".

Sacré et social

Le sacré est défini par les anthropologues, et tout particulièrement par Durkheim, sans faire appel à ce qu’on considère usuellement comme relevant du religieux, mais comme le précédant, de sorte que l’on peut dire que le religieux n’est qu’une gestion du sacré et d’une apparition tardive propre aux religions spiritualistes. Durkheim donne à la notion de sacré une dimension plus propre à nous questionner sur ses rapports avec la Franc-Maçonnerie. Il la considère comme une "réalité transcendante que l’homme est capable d’expérimenter au moment où son individualité se dissout dans le chaleureux unisson du groupe auquel il va appartenir". Ainsi pour Durkheim, le sacré est à la confluence de deux mouvements. Il est d’une part le lieu de l’interdit, et, d’autre part le siège d’une puissance conférée par une expérience et à laquelle on ne peut accéder que par cette expérience.

Pour ce qui est de "l’interdit", étymologiquement, sacré s’oppose à profane. Sacré désigne ce qui est à la fois séparé et circonscrit (du latin circumscribere : délimiter, entourer), tandis que profane indique ce qui se trouve devant l’enceinte réservée (pro-fanum)  : pour les francs-maçons, le Temple. Pour ce qui est de "l’expérience", pourquoi et comment l’humanité s’est-elle constitué des registres du sacré ? Le phénomène est tellement primitif et universel qu’il faut bien admettre qu’il s’y reflète une particularité humaine fondamentale. Laquelle ?  Pour Durkheim, la voie du sacré est ce qu’il appelle "le chemin de maturation". Lorsqu’une personne s’intéresse à ce cheminement spirituel, peu importe qu’elle soit chrétienne ou bouddhiste, ou athée. Durkheim n’a d’ailleurs jamais fait lui-même état de son éventuelle appartenance à une confession. En même temps, respectueux de toute confession, il considérait que la désaffection du Sacré était la cause principale de la névrose de l’homme actuel, de son angoisse et de sa dépression. D’où la nécessité pour lui de "l’expérience de la transcendance".

C’est encore ce que Durkheim appelle la recherche de l’Etre essentiel qui est en soi et qu’il oppose au moi existentiel. D’où la nécessité d’une prise de conscience, d’un travail sur soi-même pour "se débarrasser du voile qui empêche de voir et de ressentir sa vérité authentique, sa vérité essentielle". "Dieu est le réel ultime qui m'habite" dit Bernard Bérest. Pour Durkheim les "grandes expériences" que l’homme rencontre (la peur ou l’approche de la mort, le désespoir vis à vis de l’absurde et la tristesse dans l’isolement) permettent parfois l’expérience d’une réalité transcendante. Mais, ce que Durkheim appelle "le chemin initiatique" peut aussi se faire dans de "petites expériences", par exemple celles que l’on peut rencontrer dans une journée à certains moments ou dans certains lieux privilégiés.

Sacré et Laïcité

Pour ceux qui s’intéressent à la perception du sacré dans une perspective laïque "Les mondes du sacré" de Jacques Rifflet est un ouvrage qui permet une bonne approche de ce sujet. L’introduction est éclairante "Pour le religieux, le sacré est ce qui permet l’accès à la transcendance. Mais pour le laïque (ici dans le sens d’un humanisme, vecteur de l’immanence)  quelle est sa recherche ?. La laïcité est trop souvent définie en opposition aux valeurs dites "spirituelles". Transcendance et immanence ne font pas toujours bon ménage : Pour le croyant, le sacré advient par transcendance. Pour le laïque, le sacré émerge de l’homme comme l’écume de la vague, par immanence. Or, en approfondissant cette notion de laïcité, l’on perçoit que ces courants de pensée procèdent tous deux de la grande quête humaine et sont tout aussi nobles en leur source d’espérance. L’accaparement de la notion de spiritualité par les religions est abusif, sinon intéressé.

 

Il est peu tolérable que les croyances prétendent être les seules capables d’élever l’esprit à l’altitude où planent les aigles et estiment que la libre pensée ne rayonne que dans une humanité de manchots. La spiritualité est l’aile de l’homme. La façon dont il a appris à voler importe peu, si tant est qu’elle fut probe". Alors, peut-il exister un sacré laïque ? "Oui, affirment des humanistes non croyants, s’il est issu de l’émotion humaine, s’il naît de l’IMMANENCE". Un sacré dont le contenu est adogmatique, librement examiné et, partant, toujours révisable et individualisé. Pour ces humanistes, ce sacré-là n’obéit à aucun absolu qui ne soit tamisé au filtre vigilant de la raison, toujours en arrière-garde de l’émotif.

Sacré et Franc-Maçonnerie

Nous pouvons dire que les maçons se réunissent dans un lieu et un temps sacrés, au sens étymologique de séparé, circonscrit. Mais la pratique de ce rituel de séparation, et le respect en tenue de règles précises, peuvent être considérés comme une technique de travail, associant rigueur et liberté, sans sacralisation ou sanctification de quoi que ce soit, un "sacré raisonné". On peut ainsi penser que ce qui confère à la franc-maçonnerie son caractère sacré est pleinement lié à l’espace et au temps que délimitent l’initiation et le rituel (un lieu et un temps sacrés au sens étymologique du terme). La Loge constitue un univers à la fois protégé, exigeant, orienté et prometteur où le franc-maçon domestique ou tout du moins se concilie, l’au-delà de son savoir, de son pouvoir et de son espoir. Il y surmonte sa solitude et son errance au sein de l’univers. Il y observe des règles et des rites. Il y transmet des récits et des mythes. Il se situe grâce à des initiations et à des mystères. On peut donc se réjouir quand le sacré devient une voie d’approche pour ce qui s’offre à l’homme comme écoute, quête et adhésion.

"Car le sacré dépossède l’homme de sa suffisance, lui indique une voie par des signes et par le silence et surtout le remet dans une disposition d’émerveillement et de réceptivité" écrit André Dumas. Et c'est bien du sacré dans son sens premier qu’il s’agit en maçonnerie et non du sacré détourné au profit d’un dogme au service d’un dieu ou d’un autre. "La Franc-Maçonnerie est une combinaison assez étrange entre une tradition laïque et une tradition religieuse. C'est une religion civile, intellectualiste, fille des Lumières. Elle est tout de même solidaire d'un déisme un peu abstrait, c'est-à-dire d'un bon dieu qui est plus une entité rationnelle qu'un objet d'amour, de foi, de communion" - (Régis Debray). "Le sacré exprime l'intuition, la quête d'une valeur suprême, d'un inconditionnel inhérent à tout idéal et la capacité de l'être humain d'accorder plus de prix, de respect et d'amour à un autre être, à une valeur, poussée parfois jusqu'au "sacrifice", qu'à lui-même… (Ces notions) expriment la dimension spirituelle inhérente à l'esprit humain et dont il a besoin pour espérer, admirer, aimer, créer et se dépasser. Il (s'agit) de les utiliser de manière philosophique, non dogmatique, ce qui suffira à les distinguer des religions". (C. Salicetti).

Etymologiquement le sacré s'oppose au profane … Mais les travaux étymologiques et historiques révèlent la grande ambiguïté du sacré, situé aux confins du pur et de l'impur, de l'ordre et du désordre, du respect et de la transgression. En outre, le sacré relève de l'émotion plus encore que de la représentation ; c'est selon l'expression de R. Caillois "une catégorie de la sensibilité." Ce qui conduit à s'interroger sur-le-champ du sacré : Concerne-t-il exclusivement la transcendance, la communication avec un monde supranaturel… Ou bien peut-on admettre un sacré immanent, lié à des valeurs séculières, d'ordre civique, moral, politique, rationnel ? … (Maisonneuve). "Pourquoi, demande B. Etienne, les francs-maçons qui utilisent souvent le mot "profane" répugnent-ils à utiliser son pendant dyadique : le "sacré" ?… "Alors que tout, absolument tout, est sacré dans la mesure où tout est l'expression et le reflet du Réel ultime qui le soutient dans l'être, mais en même temps, que tout, absolument tout, est profane dans la mesure où rien ne peut s'identifier, en tant que tel, à la plénitude de ce Réel ultime" - (B. Besret). Il me semble que la Franc-maçonnerie peut et doit, toutefois, réfléchir sur la place qu’a prise dans notre société le sacré (au sens religieux) avec ses dérives et ses excès.

On peut citer Régis Debray dont l’approche sur ce point peut être objet de réflexion : "Ce n’est pas parce qu’on est athée qu’on n’a pas de valeurs sacrées. Ne confondons pas le sacré avec le religieux et le religieux avec le divin. Il y a beaucoup de religions sans dieux et sans Dieu. Par sacré, j’entends le trou fondateur, une absence fondamentale, une transcendance sans laquelle n’importe quel ensemble social s’effrite. Toute convergence suppose un point de fuite à l’horizon. Les sociétés par horreur du vide, le remplissent avec les religions traditionnelles. On marche vers l’Eden ou on vient d’un paradis perdu. Nous aurons toujours des comptes à rendre à quelque chose qui n’est pas là. C’est la rançon de notre incomplétude et c’est une chance : l’inquiétude est notre force motrice". Cette interrogation, cette "inquiétude" propre à l’homme ne peut être évacuée de notre réflexion, même si elle "relève de l’appréciation individuelle de chacun". Les rituels maçonniques renvoient à cette recherche vers laquelle, en effet, chacun trouvera sa réponse : "l’essentiel… est la valeur initiatique de la méditation intérieure, du silence et du secret".

Durkheim développe une autre idée qui définit le sacré comme une force impersonnelle. Appartenir à un groupe serait, en réalité, participer à un degré plus ou moins grand à cette force impersonnelle, où l’individuation se dissout dans le chaleureux unisson du groupe auquel elle appartient. Tout homme peut faire l’expérience de ce sacré-là puisque cette transcendance est en dernier ressort la société, en ce qu’elle transcende la conscience des individus qui la composent. Le sacré serait ici une force, une puissance, la puissance de la société perçue avec raison par ses membres. Et l’opposition entre sacré et profane devient ici l’opposition entre le social et l’individuel. De telles situations font partie de la vie maçonnique : initiations, chaînes d’union, où ce sacré social est bien présent. Mais, pour revenir à la seconde acception du terme "sacré" - ce qui doit inspirer un respect absolu et inviolable - de nombreux francs-maçons estiment que les principes et le réseau des valeurs fondatrices de la Franc-Maçonnerie, relèvent effectivement de la définition. : "Est sacré, ce à quoi l’homme suspend toute sa conduite ; ce qu’il ne trahirait ou ne renierait à aucun prix". Comme cela a été souligné précédemment, la Tolérance mutuelle, le Respect des autres et de soi-même, la Liberté absolue de conscience, l’Amour fraternel, possèdent bien, pour nous maçons, l’intangibilité et l’inviolabilité de ce sacré-là.

Ainsi, envisagée sous ces trois approches : "sacré raisonné", "sacré social" et "sacré des valeurs fondamentales de la franc-maçonnerie" et en retirant au mot sacré toute dénotation et toute connotation maçonnique, relevant du sens qu’on lui donne dans les religions, il est possible de considérer à juste titre que la notion de sacré est maçonnique, car elle fait partie intégrante de l’ésotérisme maçonnique. Mais les francs-maçons travaillent au progrès de l’humanité sur la terre, dans la réalité quotidienne du monde concret et sans aucune illusion d’un hypothétique paradis perdu ou dans l’au-delà. La notion de sacré ne peut donc assimiler l’homme à un concept divin, quel qu’il soit. A notre époque, où l’actualité nous montre quotidiennement que l’homme a acquis un pouvoir de démiurge en conservant des instincts de primate, le sacré reste incontestablement une notion fondamentale de la conscience humaine. Et s’il y a quelque chose de sacré en maçonnerie, c’est bien ce respect et cet amour de l’homme qui fondent et nourrissent tous les autres sacrés. Il faudrait reprendre toute la pensée de Durkheim pour en comprendre tous les aspects, mais comment ne pas penser à certains moments privilégiés du vécu maçonnique et à certains passages des rituels précités. "Le sacré renvoie à l'initiation, à la quête initiatique. Tout commence lorsque nous prenons le chemin de nous-même" en mettant à nu l’étincelle qui se trouve en chacun de nous et qui, une fois révélée, éclaire l’univers et lui donne un sens.

 

            Illustrations - Modillons de la chapelle de la Chartreuse Saint Jean du Liget - 37
                                     
La lune et le pavé mosaïque

 

 


Maj 29 08 2011 * 

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5 juillet 2008 6 05 /07 /juillet /2008 15:46

Initiation : 1 - La Lumière ; 2 - Apothéose ; 3 - Emotion

 

Un frère de mon atelier, connu pour avoir le trente troisième grade du Rite Ecossais Ancien Accepté, doté d'un grand âge qui autorise à penser qu'il a réfléchi à sa pratique de la franc-maçonnerie, affirme avec insistance et revendique avec force ce qu'il considère comme une vérité puissante et simple qu'il ne faut pas oublier : "La franc-maçonnerie est un ordre initiatique". Dans ce que je considère comme une profonde sagesse, il n'en dit pas plus sur le sujet, sans doute pour donner à entendre que cette vérité est trop importante pour qu'on la laisse se perdre dans les brouhaha d'un débat public, offrant simplement à qui peut l'entendre que, le moment venu, il convient à chacun d'y réfléchir sérieusement en faisant étape sur le chemin de la recherche. Ce même frère, entre autres antiennes, prononce une autre fois, de façon apparemment inopinée, cette autre vérité simple et voulue simpliste que la franc-maçonnerie est avant tout autre chose : "la fraternité au sens d'agapè", satisfait d'enfin mettre les pieds sous la table pour partager le repas qui suit toujours nos travaux en tenue du côté de minuit plein. Enfin pour terminer avec cette référence à un frère qui sert de pilier à notre atelier, je considère avoir fait un grand pas le jour où il a martelé avec la même force de l'évidence révélée, qu'en franc-maçonnerie : "Il n'y a pas une Vérité mais des vérités".

 

Il s'agit là, pourra-t-on dire, d'aphorismes banals, de tautologies réductrices. Elles me sont apparues comme des clés que j'ai intégrées à mon trousseau, en réserve, dans l'attente de me trouver justifié de les utiliser. Or voici que j'en ai le loisir, rencontrant sur mon chemin une porte fictive qui demande à être ouverte pour que je puisse passer outre. Il survint donc qu'un soir, après tout un processus d'enquêtes, de dossiers à remplir avec force documents administratifs, on consentit à m'ouvrir l'accès à l'initiation maçonnique. J'ai vécu celle-ci dans la curiosité, intéressé de voir de quoi il s'agissait, de découvrir ce qu'elle est supposée apporter et surtout de voir comment cela se vivait, comment je la vivrais. Bien que nécessairement sceptique mais amusé par le jeu de rôles auquel les acteurs qui me manipulaient semblaient prendre plaisir avec beaucoup d'application, je me suis retrouvé tout à fait "sonné", dans un état modifié de conscience, comme si je planais à quelques centimètres du sol après avoir reçu "la lumière".

 

Cela a duré quelque temps avec une sorte de dédoublement de la personnalité que j'observai avec intérêt. Rien ne semblait pouvoir mettre en cause cet état de grâce bienheureux. Surtout pas les vilenies d'une société, dont on me disait pour la défendre qu'elle restait "humaine", quand sont apparues des tensions manifestes entre frères, des compromissions qui avaient des échos dans la justice dite profane au point de provoquer l'éviction d'un Surveillant et la démission du frère qui m'avait servi de cicérone dans ce monde nouveau. Ni le peu d'attention ou de considération pour certaines valeurs qui sont constamment réactivées par le cérémonial de la tenue comme guides de conduite ou rappels à l'ordre. Ni le peu de conviction mis par beaucoup de frères à entrer dans les symboles qui décorent l'atelier et contribuent à créer ce qu'ils revendiquent comme un monde "hors du profane".

Rien de cela n'affectait l'espèce de béatitude dans laquelle je flottai grâce au capital d'émotion que l'initiation m'avait insufflé dans ses épreuves sous le bandeau. Je préservai imperturbablement ce très confortable état conscience auquel il m'avait été donné d'accéder par des voies qui me restaient mystérieuses. Tout en vivant les différents aléas et avatars des tenues, j'observai, j'absorbai attentivement les symboles, les rituels, les décors, les fonctionnements, les revendications, les ambitions qui apparaissaient, les satisfactions, les affirmations, les auto suffisances qui s'exprimaient. Ma démarche devait paraître trop examinatrice ou froidement rationnelle. Elle m'a valu au bout de trois mois une remarque amusée d'une sœur visiteuse assidue, venue me dire sans autre forme de procès : "Toi tu ne resteras pas longtemps en franc-maçonnerie" ajoutant sur mon air étonné : "Tu regardes trop !". Erreur de ma part bien sûr. Je savais déjà par diverses expériences que pour pénétrer un milieu nouveau il faut souvent penser à "éteindre le regard" pour ne pas indisposer. Au demeurant je suis resté. Je suis encore là, vingt cinq ans plus tard ! Quoi qu'il arrive que je me demande parfois pourquoi.

La cérémonie d'initiation qui a procédé à ma réception dans l'ordre maçonnique m'a donc efficacement marqué sur le plan émotionnel. Mais elle ne m'a révélé aucun secret qui aurait pu m'éclairer dans la compréhension du monde ou pour conduire ma vie. Je ne me suis pas trouvé, du fait d'être "initié", doté de pouvoirs qui m'auraient permis d'intervenir sur le réel et de le façonner dans un sens qui m'aurait agréé. Initiation n'est apparemment pas magie. Certes on entendait souvent parler de secret, mais il ne s'agissait que de secret d'appartenance qu'on entreprenait d'ailleurs de réduire à de la "discrétion" pour ne pas affoler les rumeurs publiques. L'absence de révélation ne m'indisposait pas car je pensais surtout en entrant en franc-maçonnerie rejoindre un groupe d'hommes qui travaillent à la défense et à la promotion de la liberté à une époque où il me semblait urgent d'être présent sur ce front en France et dans le monde.

Parce que dans le vocable "franc-maçonnerie" c'est le mot "franc" qui me fascinait. Tout à l'écoute et à la découverte de ce monde nouveau corseté par des rituels et nourri de symboles dont la présence insistante créait un espace et un moment hors du profane censément propices à la méditation et à la réflexion, je me trouvai interpellé par l'omniprésence de signes et de références bibliques, judaïques, chrétiennes, catholiques et protestantes. Et des planches qui procédaient par exemple d'une "Longue réflexion sur l'Apocalypse". Ce qui m'a incité pour jouer le jeu et surtout me mettre à niveau dans l'espoir de comprendre la démarche maçonnique, à faire l'achat d'une bible. J'ai choisi celle de la Pléiade, aux éditions Gallimard, parce qu'elle est dotée de multiples index qui permettent de la travailler sans avoir à la lire. Je me trouvai un peu sceptique d'avoir à chercher en maçonnerie mes sources dans un livre qui a nourri tant de dogmes et d'églises qui ont contraint en occident la société des hommes dans des structures de pouvoirs contre lesquelles il a fallu lutter pour dégager toutes les libertés que nos pères nous ont conquises et qu'il nous faut à notre tour défendre.

J'ai donc appris à distinguer l'anti-cléricalisme qui se soulage sur les colonnes en termes explicites lors de la fermeture des travaux, de l'anti-religion dont on affirme subtilement qu'elle n'est pas compatible avec la Tolérance revendiquée par le franc-maçon qui reste libre de ses pratiques et de ses croyances à condition qu'il ne s'en fasse pas le prosélyte dans notre espace sacré. Merveilleuse tolérance qui ne s'offusque pas d'avoir à s'épanouir dans la promiscuité des symboles et des concepts bibliques qui ont investi ses murs et ses rituels, sans craindre d'en être affectée et sans envisager que leur présence insistante pourrait gêner des frères de culture non chrétienne. Ces paradoxes étaient d'autant plus flagrants que notre atelier initiait aussi bien des athées et des anarchistes, des non pratiquants que des chrétiens catholiques et protestants, des musulmans ou des tamouls ... Bons princes et intelligents, ces derniers acquiesçaient lorsque pour justifier ces curieuses permanences on en appelait à la Tradition des origines de la franc-maçonnerie dont il serait hors de question de casser la transmission qui sert de moteur à la démarche maçonnique depuis presque trois siècles.

Certains frères avaient la franchise d'expliquer que cette panoplie d'avatars bibliques était obsolète et désamorcée de toute efficacité. Eux-mêmes athées militants ne leur prêtaient aucune attention ne voulant pas se laisser obnubiler par des strates sédimentaires fossilisées alors que d'autres combats plus urgents devaient mobiliser nos énergies. J'étais donc "initié". J'étais admis à travailler avec des francs-maçons eux-mêmes initiés. Mais pour quoi faire ? Je voyais qu'il ne s'agissait pas d'une élite sociale, ni politique, ni intellectuelle, ni spirituelle ... Il ne fallait pas être riche, ou puissant, ou intelligent, ou illuminé pour être admis. L'initiation ne me donnait pas des droits particuliers ni des privilèges. Bien au contraire, puisqu'elle m'enjoignait de respecter la loi et ses contraintes, disant que celles-ci créent le cadre des libertés. Non plus elle ne faisait accéder à des connaissances ni à des secrets qui m'auraient permis d'accéder au cœur de la vérité pour comprendre le monde et la vie. Simplement je me retrouvais régulièrement avec des hommes, mes frères qui manifestaient beaucoup de chaleur et d'enthousiasme dans leurs retrouvailles et mettaient beaucoup d'application à être assidus et exacts aux tenues. Surtout les premières années pour accéder au deuxième puis au troisième grades.

 

Par la suite l'assiduité pouvait se relâcher, signe d'un "écrémage" qui révélait quelques désillusions et conduisait certains à refuser d'assumer en responsabilité - dès lors qu'ils auraient acquis avec la maîtrise la plénitude des droits maçonniques - le fonctionnement d'un système ou d'une institution dans laquelle ils ne se reconnaissaient peut-être pas complètement. Absents, ces frères restaient initiés. Mais on voyait bien que leur carence perturbait le fonctionnement de l'atelier. Parce que l'initiation qui crée un franc-maçon ne lui confère pas un état (on n'est pas franc-maçon) mais simplement une reconnaissance selon la belle formule "Êtes-vous franc-maçon ? Mes frères me reconnaissent comme tel ". Si les colonnes sont désertes, si les frères n'ont personne pour les reconnaître, qu'advient-il de leur initiation ?" De là sans doute, le plaisir et l'urgence de se retrouver régulièrement. Et la satisfaction de se rencontrer et faire reconnaître dans des occasions inopinées, hors du temple, dans le profane, par des signes, mots et attouchements d'eux seuls connus qui raniment et ré-activent le souffle maçonnique de l'initiation.

L'initiation m'a donné la lumière. La Grande lumière ! C'est un mystère bien étonnant. De quelle "lumière" est-il question puisqu'il ne peut s'agir de celle que j'avais déjà reçue à la naissance. Certes on m'en avait privé par l'usage d'un bandeau pour me faire vivre les épreuves et voyages symboliques. Mais l'initiation ne pouvait pas m'accorder une chose que je possédais déjà et dont la restitution en grande cérémonie était censée me transformer profondément. Bien aimable mystère dont l'apparente simplicité m'interloque toujours. Je connais bien sûr les différents emplois figurés du mot lumière associé à intelligence, compréhension ... Mais le recours à cette solution sémantique apparaissait trop réductrice et abusive s'agissant d'une démarche dont la mise en scène cérémonieuse semblait vouloir ouvrir la voie à une "révélation" fondée sur l'émotion. Subsistait donc le mystère qu'aucun catéchisme, mode d'emploi ni aucun guide ne proposait d'élucider puisque la franc-maçonnerie n'est pas une école qui aurait un programme d'enseignement ou des dogmes. Celle-ci suggère qu'il y a un chemin, mais elle laisse à l'initié le soin d'en trouver l'entrée et d'en tracer le cours. Initié certes. Mais seul. De temps en temps quelques balises permettent à l'initié de se recaler s'il veut bien continuer sa route : élévation au deuxième grade, à la maîtrise, maître secret, Royal Arch, Rose+Croix ... Des outils, des symboles, des mots et des signes lui sont montrés. Des émotions, des intuitions, des mythes émergent d'autres mondes, des états de conscience manifestent des fonds d'être. Des formules sèment des alertes : "Connais-toi toi même" ... "On n'est jamais initié que par soi-même".

Initié certes ... Mais il faut ouvrir le chemin. Des frères, occupés sans doute à suivre leur propre chemin, accompagnent le mouvement. Mais aucun n'est le guide. Aucun n'indiquera de direction. Personne au carrefour. Compagnons sur les voies de la lumière, mais pas forcément sur la même route ni aux mêmes étapes. Parfois des rencontres dans des auberges communes au hasard des cheminements. On raconte. On rend compte. On échange, mais on ne dort pas forcément au même étage. Dès lors comment s'initier soi-même et entreprendre de se connaître ? Le petit mémento du grade de maître secret vint à me servir de balise très opportunément, qui déclare que : "... soi-même est la lumière, si petite fût-elle, qui réside au fond de tout être quelle que soit sa condition ... Rechercher, découvrir sa propre lumière intérieure, la définir, elle et ses besoins, puis la ressentir dans la dilatation de tout l'être qu'elle provoque avec l'intense joie qui l'accompagne, est inexprimable." Comment accéder à cette dilatation de tout l'être dont parle le mémento et à l'intense joie annoncée même si cela est inexprimable comme on nous en prévient. Dans la gloire d'une musique éclatante au troisième coup annonciateur, on m'avait donné la lumière, "la Grande Lumière". J'avais franchi le pas. J'étais entré dans un monde lumineux !

Mais il a fallu vite comprendre que ce n'était que le début d'un chemin qui m'était montré, un départ, non une arrivée. Et que cette lumière que j'avais reçue en initiation balisait un cheminement sans fin qui conduit sur les routes du monde au travers des valeurs éternelles. Et dans cette course me voici maintenant renvoyé à l'intérieur de moi-même à la recherche de cette Lumière qui y résiderait, découvrant que la mienne doit être bien faible, si petite que j'ai bien du mal à la percevoir enfouie si profond qu'en vérité je ne parviens pas à la ressentir ni à connaître cette dilatation annoncée. Mais je me souviens de l'avertissement fatal.
"Rechercher, découvrir, définir et ressentir sa propre lumière intérieure est inexprimable". Comment ressentir l'inexprimable ? Poésie vint à mon secours, non qu'elle exprimât. Mais parce que poésie crée le sens selon l'adage de Soulages. Un poème né de hasard m'illumina donc :

                                                                   
Lire le poème  Apothéose  ...                         
                                                                                               

Cyrille, 5 juillet 2008         


MAJ 7 12 2010 *

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28 juin 2008 6 28 /06 /juin /2008 15:48

Initiation : 1 - La Lumière ; 2 - Apothéose ; 3 - Emotion

            

 

"Rechercher, découvrir, définir et ressentir sa propre lumière intérieure
est inexprimable".
Comment ressentir l'inexprimable ?

Poésie vint à mon secours, non qu'elle exprimât.
Mais parce que poésie crée le sens selon l'adage de Soulages.

Un poème né de hasard m'illumina donc ...

 

 

 


APOTHÉOSE

Il était
à l'occasion
visité par des forces de passage
qui faisaient escale
et prenaient gîte en lui

Elles s'installaient
à son insu
sans se manifester

Elles étaient de passage
et prenaient gîte en lui
pour se fixer un moment

Il était comme une étape sur leur flux
sans le savoir toujours
car elles manifestaient peu

Parfois une force puissante
l'habitait
il s'en trouvait exalté
porté vers l'avant
jusqu'à un avenir rayonnant
soulevé de terre
gonflé d'espérance
et de vastes projets

Et tout réussissait

Comme si
il était visité
par une force en voyage
une bête itinérante
qui aurait pris gîte en lui
l'espace d'un espoir
l'espace d'un matin
ou d'un soir
ou pour de plus longues vacances
quelques jours

 On voyait bien qu'il n'était plus tout à fait lui
qu'il irradiait
- on ne savait comment dire -
une force
une présence
une puissance

Comme un phare
une aura

°
°     °

 On venait à lui
prendre de l'énergie
par contact

 On savait qu'il était visité
 on savait par les sens
l'intuition

Mais les mots ne disaient rien
simplement un rayonnement
une puissance

On ne disait rien
on venait
 on se trouvait plus fort

°
°     °

 Quand il revient
il est fait de lumière

Savoir où il est allé
c'est un mystère

On ne peut pas savoir
mais il revient, vivant

 Alors il resplendit

Il est allé au monde
dans quel univers ?

Il a trouvé les énergies
Il a rencontré le Souffle

Il sait
Il porte la gloire

 On voit bien qu'il revient d'ailleurs
qu'il y a vu des choses

Il redescend
il est là
avec le mystère

°
°     °

Il y a des champs de force
des espaces d'énergie

Il se laisse porter
emmener

Il part à la dérive
les vents le portent
les rêves l'emportent
au gré des courants
et des tourbillons

Il ne craint rien
c'est sa force

Il laisse aller
Il laisse courir

Et le voilà au centre
en plein croisement
là où tout converge

Tout se noue
Tout se crée

Et le voilà recréé
tout noué

Au creux des tourbillons
porté par les houles
au gré des grandes brises
cœur des turbulences

Enveloppé
serré
contraint
refaçonné
aguerri

Éjecté du magma
redescendu sur terre
resplendissant de tant de force
Illuminé

Il est là
chargé de lumière
Voyez !
Il est là...

°
°     °

Ayant atteint
le point de grande lumière
il s'arrêta
pour s'en laisser imprégner
et se charger d'énergie

Non qu'il fût épuisé par sa longue course
sa marche sans fin
sa quête sans trêve

Non qu'il fût épuisé
ou qu'il manquât de Souffle

mais il se laissait enfin prendre
comme s'il sentait le terme proche

La grande lumière l'imprégnait

Il était au but
l'exaltation le gagnait
il sortait de lui-même
abandonnait sa géhenne
s'épanouissait
comme la fleur sort du bourgeon

 Il aspirait à grands traits
l'Univers éclatant

°
°     °

Encore un pas
un dernier pas

Il disparut
réduit au Tout
à l'intérieur de son aura

Un dernier pas
Il se réduit en lumière

   A la Lumière ...


Apothéose ...

   

 

 

 Lire Emotion  ...

 

 

Cyrille, 28 juin 2008           

MAJ 7 12 2010

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20 juin 2008 5 20 /06 /juin /2008 15:33

 

Initiation : 1 - La Lumière ; 2 - Apothéose ; 3 - Emotion

            

 

La mort -

Le processus d’initiation impose une rencontre avec la mort. Non pas la mort en général. Mais la propre mort de l’Initié avec l’épreuve de la terre, le jeu de rôle du meurtre d’Hiram avec la putréfaction, "la chair se détache des os", le tout renvoyant vers la mythologie biblique par Hiram, Salomon et Joaben. Le plus étonnant est que l’initié soit un moment suspect d’avoir participé au crime c’est-à-dire d’avoir pu être un acteur qui donne la mort violente, ce qui à proprement parler me reste incompréhensible. Faut-il, pour approcher le sens de la mort, nécessairement rencontrer la faute, la culpabilité, fût-elle inconsciente ? Que la franc-maçonnerie qui met en œuvre un processus de libération des âmes et des esprits oriente, propose une méditation sur l’angoisse de la mort fondée sur la culpabilité et la faute ne laisse pas de m’étonner. D’autres traditions dont on connaît un peu le moteur malgré le secret qui les entoure, imposent aussi la fréquentation de la mort mais dans des conditions qui m’agréent beaucoup plus : en épuisant cette angoisse du mourir, en faisant vivre à l’initié sa propre mort par anticipation, elle ouvre le champ aux forces de la vie.

Ainsi la tradition portée par les mystères d’Eleusis célébrés en l’honneur de Déméter : que les objets sacrés soient des phallus et des vagins me convient mieux que d’avoir à rencontrer sur mon chemin, dans les édifices religieux du monde chrétien occidental, des croix obscènes qui arborent la douleur d’un crucifié à l’article de la mort. Que la révélation suprême de l’époptie soit un épi de blé qui porte symbole du phallus en érection pour la génération me rassérénerait plus que l’affliction imposée sur le chemin de l’enfer pavé des condamnations du péché de chair et que la honte jetée sur Eve qui a croqué la pomme. Heureux donc l’initié grec qui émerge de l’enfer, glorieux des copulations de Déméter et de Dionysos que prêtresses et prêtres donnent chaque année en spectacle sacré sur l’autel d’Eleusis. Après avoir anticipé sa mort, le voila appelé à vivre. Urgemment.

La Vie

"Ceux qu’on initie ne doivent pas apprendre quelque chose mais éprouver des émotions et être mis dans certaines conditions"
- Aristote.

L’initiation appelle l’Emotion à force d’impressions qui forgent l’âme et portent à la réflexion ... Il s’agit de l’émotion au sens littéral et fort (ex-movere : mettre en mouvement). L’émotion en tant que conscience du mouvement du monde et de la vie, outil de prise de conscience, de prise de connaissance du mouvement des forces qui dans l’intimité et le secret des choses, au-delà des apparences, derrière le miroir, créent, animent et mettent en mouvement l’Univers et la Vie. Au sens où l’alchimiste en fait un outil d’approche de cette réalité ultime et complexe dont je suis moi-même une modeste manifestation qui fusionne avec le Tout.

 

Et voilà que cette Emotion appelle et met en œuvre l’Intuition et la Raison, outils et moyens complémentaires de cette prise de conscience, de cette prise de connaissance. Mais encore faut-il ne pas négliger l’intuition au prétexte que la raison mobilise urgemment nos énergies et nos capacités d’analyse, alors même que les scientifiques, ardents défricheurs du rationnel, trouvent dans l’Intuitif attentivement sollicité des clefs, des étincelles qui relancent et nourrissent la quête du rationnel. Et si la franc-maçonnerie - dès l’initiation - donne cette clef sur la voie de la Recherche et de la Lumière, il reste à ne pas négliger son emploi, à ne pas répugner y recourir, à ne pas la récuser au risque peut-être de se priver d’un outil fondamental de connaissance.

Bien sûr, chacun est libre et marche à son pas et nul ne peut le contraindre dans ses convictions ni même l’aider - si le temps n’est pas venu - puisqu’il est dit, selon la belle formule : "On n’est jamais Initié que par soi-même" ... Mais il convient probablement de rester à l’écoute, de laisser les voies ouvertes, en attendant de pouvoir, en attendant de savoir, les explorer. Et surtout de ne pas jeter la clef par trop de certitudes simplificatrices. Initié certes ... Gratifié de quelques grades du cursus maçonniques, bardé de serments, dont certains si secrets qu’ils interdisent même d’évoquer les avoirs prêtés, je poursuis imperturbablement un chemin dont j’ignore le but. J’avance au hasard, dans l’aléa.

 

La route est dans l’obscur, la destination est incertaine. Et la Lumière n’est à l’évidence pas le but : elle éclaire la voie pour assurer la marche, mais elle n’indique pas le terme qui s’échappe toujours au gré de mon approche. Initié sans doute ... Mais la vie reste en aventure comme à venir ... A l’écoute des autres, à l’écoute de soi ... A la rencontre des autres, à la rencontre de soi ... "Car c’est cela qui a été perdu"... A la recherche de l’Emotion, qui se nourrit et s’éveille au contact du monde, qui nourrit la vie et la révèle ...

 

Fin ...

 

Cyrille, 20 juin 2008         


MAJ 7 12 2010 *

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11 juin 2008 3 11 /06 /juin /2008 23:12

"Puis apparaîssait un "Graal" que tenait entre ses deux mains une belle et gente demoiselle. Une si grande clarté s'épandit dans la salle que les cierges pâlirent, comme les étoiles ou la lune quand le soleil se lève" ... Cette étrange description, due à Chrétien de Troyes a projeté dans toute l'Europe le mythe du Graal. Connu surtout à travers un opéra de Richard Wagner, le Graal a hanté bien des imaginations.

Tour à tour écuelle, plateau, vase contenant le sang du Christ, pierre tombée du ciel, cet objet magique et divin demeure le mystère des mystères, la lumière inaccessible vers laquelle tendent toutes les énergies humaines.

Alors,
le Graal est-il un trésor, comme l'ont pensé ceux qui l'ont cherché dans la citadelle Cathare de Montségur, dans la forêt de Brocéliande, ou dans l’abbaye de Glastonbury en Grande Bretagne ? Le Graal est-il la grâce divine, comme l'ont dit les cisterciens ? Est-il la pierre philosophale, comme l'ont pensé les hermétistes ? Ou bien n'est-il tout simplement qu'un épisode de la légende du Roi Arthur ? Je partage plutôt le sentiment de ceux qui pensent que le Graal est un objet merveilleux dans lequel chacun de nous peut enfermer le but de sa propre quête spirituelle.

Dans le haut Moyen Age, les troubadours composaient leurs chansons et les ménestrels les chantaient dans les Cours. Les premières chansons rendaient hommage à la femme et prônaient l'amour illicite avec un abandon païen. Au fil du temps, l'adoption par le système féodal d'un code d'honneur rendit le badinage amoureux un peu plus fictif que réel et la poésie, sensuelle au XIIème siècle, devint plus spirituelle, plus spiritualiste, au XIIIème. A la chanson de geste, dédiée à Charlemagne et à sa Cour, succéda le roman.
C'est ainsi que les histoires d'Arthur et de la Table Ronde devinrent des romans.
La vision du Graal - Porche Nord de la cathédrale de Chartres

Arthur était un roi Breton légendaire qui défendit au VIème siècle l'Angleterre occidentale contre les Saxons. Les récits de ses exploits circulaient oralement dans toute l'Europe. Et au XIIème siècle, lorsqu'on y ajouta l'amour de Lancelot pour Guenièvre et la recherche du Saint Graal, Robert Wace et Chrétien de Troyes transformèrent le cycle complet en romans. Ainsi fut élaboré le monument littéraire le plus remarquable sur la Chevalerie courtoise, racontant la légende d'Arthur et de ses Chevaliers de la Table Ronde, idéalisation de la chevalerie qui se termine par la recherche du Graal, le plat de la Cène, et le Vase dans lequel Joseph d'Arimathie aurait recueilli le sang du Christ sur la croix.

 

Dans la préface du "Roi Pêcheur", Julien Gracq nous fait bien remarquer, qu'après une longue éclipse de la prospection des mythes, on ne nous laisse plus ignorer aujourd'hui que c'est de notre époque dont il va être question et de nulle autre. Le Graal renvoie au Jardin des Hespérides, la quête au voyage des Argonautes. Les mythes du Moyen Age ne sont pas des mythes tragiques, mais des histoires ouvertes : Tristan, la tentation de l’amour absolu, Perceval, celle de la possession divine ici-bas. La conquête du Graal représente une aspiration terrestre à la surhumanité. Reste, au centre, au cœur du mythe, ce tête à tête, ce corps à corps poignants ici, maintenant, toujours, de l'homme et du divin.

Sans s'attarder sur les confusions auxquelles sont sujettes les différentes versions de l'histoire du Graal, il est permis de tracer un plan d'ensemble mettant en relief les faits principaux. Aucune version ne conteste en effet que Joseph d'Arimathie, par la grâce du Christ qu'il avait enseveli, était possesseur du "Saint Vessel" dans lequel il aurait recueilli le sang du crucifié. C'était le vase dans lequel aurait été célébrée la Pâque. Mais, Joseph d'Arimathie n'est pas resté en Palestine. Délivré de la prison où il avait été enfermé, il fonde avec ses parents et amis, un petit groupe de croyants qui se rendra ultérieurement en Grande Bretagne, où se dérouleront les aventures du Graal. Seulement il y a, entre la Palestine et la Grande Bretagne, une étape intermédiaire, dans un lieu non précisé, où se placent plusieurs événements importants. Tout d'abord, la construction d'une table, qui sera la seconde des tables célèbres, intermédiaire entre la table mystique où fut célébrée la Cène et la Table Ronde. Ensuite, la pêche miraculeuse de Bron, le beau-frère de Joseph. Le poisson qu'il prend sera étroitement associé au Graal et son possesseur sera nommé le Riche Roi Pêcheur. Enfin le châtiment d'un certain Moïse, qui a voulu s'asseoir à la table sainte sans en être digne sur le siège vide, et réputé "périlleux" symbolisant la place de Juda. Et on voit le Graal distribuer tantôt des aliments terrestres, tantôt la grâce divine.

Il existe une extrême variété de conceptions quant à l'aspect du Graal. Toutefois, deux tendances générales se dégagent. Le Graal est soit décrit comme un objet matériel, un vase qui doit être porté, soit il tend dans d'autres récits vers l'immatérialité et se déplace seul pour apparaître à ceux qu'il honore de sa grâce. Le Graal a cinq aspects qu'il n'est pas permis de dire. Seul, le Roi Arthur a le privilège de les voir ensemble. On peut songer, à ce propos, à cette phrase que l’on entend parfois dans certains milieux ésotéristes : "Le secret du Grand Oeuvre a été publié dans sa totalité, mais par fragments. Ces fragments sont dans un désordre voulu, noyés dans des banalités et des contre vérités. Il suffirait de les trier et de les remettre en ordre pour avoir le secret complet". Malheureusement, cette condition, qui semble pourtant si simple, est impossible à réaliser. Il en est sans doute de même pour le Graal et le problème est plus complexe, puisqu'il semblerait y avoir plusieurs solutions.

Je partage avec le docteur Barthélémy, auteur du remarquable ouvrage "Le Graal dans les récits français - Ses rapports avec le monde celte", fruit de vingt années de travail sur le Graal, les quelques conclusions provisoires qui suivent en remarquant que si l’on est seulement romaniste, on peut passer, sans les voir, à côté de vérités évidentes et que pour leur part, les ésotéristes sont incapables de freiner leur imagination sans se soucier des sources. En essayant de rester dans une attitude médiane, on peut considérer avec raison que la base du Graal se fonde sur le christianisme, au sens le plus large du terme. Mais ce christianisme semble assez particulier. Il est hérétique et ésotérique, vraisemblablement élaboré par un groupe extra-apostolique, n'admettant pas la primauté de Pierre et qui se serait réclamé de Joseph d'Arimathie. Ceci ne doit pas obligatoirement diriger nos regards vers la tradition Johannique, puisque les quatre évangiles font tous référence au personnage de Joseph d'Arimathie. On ne peut nier par ailleurs une influence celte, qu'il est toutefois très difficile d'évaluer, dans la quasi ignorance où nous sommes des doctrines enseignées par les sages de ce peuple. Ces propositions, limitées aux récits français, constituent une base réaliste pour formuler quelques hypothèses.

On admet généralement que la légende de la Table Ronde dérive du compagnonnage celte et particulièrement irlandais. Cette hypothèse nous amène donc vers l'Irlande au lieu du Pays de Galles sans toutefois oublier que Wolfram situe la cour du Roi Arthur à Nantes, près de la forêt de Brocéliande. Le fait que la légende du Graal se soit coulée dans celle de la Table Ronde pourrait venir à la fois de l'immense succès de la Table Ronde ainsi que de la fusion, sans doute ancienne, du christianisme ésotérique avec les légendes et enseignements druidiques. Une élève de Rudolf Steiner écrivait en 1957, sans toutefois donner de justifications : " l'Archange celtique devint l'inspirateur du christianisme ésotérique. Celui-ci est resté, à l'époque chrétienne, imprégné de la sagesse antique. Dorénavant l’esprit celtique couve dans ses profondeurs. Il ne se manifeste plus qu'anonymement et par bouffées ".

On peut relever par ailleurs trois erreurs importantes, qui sont habituelles et dont il sera difficile de débarrasser l'opinion courante. La première consiste à ne pas différencier les deux figures du Roi Arthur, celui de la lutte contre les Saxons et le personnage mythique de la Table Ronde. On peut d'ailleurs se poser la question de savoir si le Graal est un mythe exemplaire ou une histoire évhémérisée, car c'est le Roi Arthur qui doit revenir et non le Graal. La seconde erreur consiste à croire que le prototype de l'histoire du Graal est constitué par l’œuvre de Wolfram ou par les rêveries Shopenhaueriennes de Wagner, alors que les récits français sont probablement antérieurs et incontestablement distincts du récit allemand. La troisième erreur est celle qui fait de Perceval un naïf, un "nice", victime d'une mère abusive.
De plus on commet généralement une autre erreur, en privilégiant le récit de Chrétien de Troyes par rapport à celui de Robert de Boron qui est, semble-t-il, le plus important. C'est en effet à Robert de Boron qu'il convient de s'adresser pour une première approche du Graal. Malheureusement son oeuvre nous est parvenue après avoir été très malmenée. Aussi est-il injustement méconnu. C'est lui, qui dès son premier récit, se place dans un cadre chrétien, mais nettement extra-apostolique et non romain. Tout son christianisme découle de Joseph d'Arimathie, qui n'a pas hésité à compromettre sa situation pour donner une sépulture correcte à Jésus et qui ne s'est ensuite soucié ni de sa résurrection ni de la propagation de sa doctrine.

On remarquera enfin l'importance des questions à poser. L'une d'elles est particulièrement significative : "quel est celui que l’on sert avec le Graal ?" Il y a donc deux nourritures, celle qui est distribuée à tous les convives et celle qui est réservée à un seul et qui est essentiellement spirituelle. Il est aussi question de "navigations" qui conduisent dans une sorte d'"au-delà" du Graal, soit dans une île lointaine, soit à Sarras - le point de départ - que le Graal a quitté pour venir en occident. C'est là qu'il abandonne la terre en y laissant le palais spirituel. Il est probablement exact de considérer le royaume du Graal comme "un autre monde", mais jamais Perceval n'a eu l'intention de dérober le Graal pour le ramener à la Table Ronde. On est donc loin de Gilgamesh cherchant la plante d'immortalité, ou des argonautes en quête de la Toison d'Or. Rabelais, lui non plus ne fera pas rapporter la "dive bouteille" dont les mérites sont accordés sur place.

Ainsi, huit siècles après avoir enchanté et nourri les rêves du poète médiéval Chrétien de Troyes, le Graal nous fascine toujours par son mystère. Cratère de l'initiation dans la tradition primitive, chaudron magique dans la tradition celtique, parole perdue dans la tradition maçonnique, souvent identifié à la sagesse ou au mercure alchimique, ce symbole, d'une si grande richesse, ne désignerait-il pas tout simplement le trésor caché dans l’âme humaine ? Drame spécifique de l'ère chrétienne, "l’ère des poissons", la quête du Graal constitue aussi et surtout une image de cette lente et douloureuse maturation intérieure que Jung appelle le processus d'individuation ? Se mettre en quête, ne serait-ce pas, en définitive, s'ouvrir à la réalisation du soi, autrement dit accueillir dans son temple intérieur l'incarnation de la divinité ?
 


Maj 19 10 09 - GA - L0

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10 juin 2008 2 10 /06 /juin /2008 21:34

Il est d'usage, dans la vie courante, comme dans les grandes négociations internationales, de dire : "il reste encore quelques problèmes technique à régler". Sous-entendu : "l'essentiel est décidé, l'intendance suivra". Malheureusement, à l'échelle planétaire, l'intendance ne suit pas. Et elle suit d'autant moins que les maîtres du monde la négligent …

La technique n'est pas une question subalterne. Le monde pourrait nourrir convenablement les sept milliards d'humains qui l'habitent et même les douze milliards qui l'habiteront en 2100, si les ressources de la technique étaient mobilisées à cet effet, c'est à dire si les cultures des peuples pauvres étaient suffisantes. "Donne un poisson à un homme, il mangera un jour ; apprends-lui a pêcher, il mangera toute sa vie". Bien plus, si le partage du savoir faire technique était effectif, la fécondité des peuples pauvres s'abaisserait spontanément et l'équilibre entre les ressources et la population se ferait naturellement, par l'effet de la volonté des femmes. Utile, la technique est bien plus qu'un outil ! Désormais, l'humanité ne peut plus survivre sans la maîtriser.

La technique est une manifestation des multiples façons par lesquelles l'homme se relie à lui-même et au monde. C'est un dévoilement de l'être. Elle évolue depuis l'aube de l'humanité, mais pas n'importe comment. A chaque époque, ses développements correspondent à des usages sociaux précis. Dès le début de la techno-nature, il y a dix mille ans, le feu sert à cuire les aliments, mais aussi à incendier les forêts pour cultiver sur les terres brûlées au risque de désertifier.

Des inventions comme l'imprimerie et l'ordinateur fond faire des bonds aux sociétés humaines, alors que d'autres leur procurent seulement des améliorations progressives. Les évolutions ne constituent pas un processus continu. Elles se font par paliers successifs et installent, pour un temps plus ou moins long, des systèmes dont les différents éléments se complètent mutuellement, en vue d'un état stable.

Le changement est donc rare car les défenses immunitaires des civilisations contre l'innovation sont efficaces. Certaines ont su geler, pour plusieurs siècles, des techniques courantes concernant la vie quotidienne. La Chine, dès l'an mil, avait inventé la poudre à canon, la pâte à papier, découvert le principe de l'imprimerie à caractères mobiles (cinq siècles avant Gutenberg) ainsi que la mesure mécanique du temps (horloge de Su Sang, en 1090). Mais ces inventions, connues de l'Empereur et de son entourage, n'ont pas atteint la société civile. La société chinoise n'a pas été déstabilisée par ces inventions comme le sera l'Europe du XIIème siècle.

Le futile précède l'utile

La clef de la technologie n'est donc pas dans la grise platitude du couple nécessité-utilité, mais dans le désir. Le vélo, l'automobile et l'avion sont nés de loisirs sportifs de privilégiés. Le futile précède l'utile, le jeu précède l'outil. Pour l'homme, le rêve est un fabuleux accélérateur. Contrairement aux animaux, ce ne sont pas des transformations génétiques, au rythme lent, qui le font s'adapter à son environnement. Ce sont ses rêves.

L'homme a longtemps rêvé d'avoir moins froid, de manger mieux (et plus souvent), de voler, d'aller sous la mer. Il a fabriqué, à l'extérieur de son corps, les organes qui lui manquaient. Il a rêvé … Puis inventé l'agriculture, la piscine, l'air conditionné, les nouvelles espèces animales. Il fabrique actuellement des planètes artificielles dans lesquelles tout l'environnement est issu de son esprit. La technologie et son aboutissement résultent de cent mille ans de rêves.

Le réalisme des rêves

De tous temps, l'homme a utilisé le rêve pour comprendre le monde. Comme l'enfant trouve dans le jeu (où il devient successivement docteur, aviateur ou instituteur), la force nécessaire pour préparer son passage à l'âge adulte, le créateur ne peut concevoir qu'après un détour par l'imaginaire. Dans un très grand nombre de cas, le rêve du créateur passe par un impérieux désir d'unification, de suppression de barrières, en apparence solides. Le progrès scientifique ou technique est presque toujours lié à la recherche d'une meilleure compréhension du monde.

Le meilleur exemple d'une telle fécondation originale date de 1637. Dans sa "Géométrie" - essai complémentaire de son discours sur la Méthode - Descartes a bouleversé la science en réunissant Algèbre et Géométrie sous une même bannière. Bravant un interdit séculaire, il a ainsi ouvert à la mathématique un espace libre encore inconnu et décuplé sa puissance. Depuis, les retombées de cette innovation profonde ont illuminé toutes les sciences.

La mathématique passe, auprès de ceux qui la subissent, pour une discipline trop rigoureuse, étouffant l'imagination. A regarder son histoire, il apparaît au contraire que son véritable rôle n'est pas de mettre en coupe réglée le raisonnement, mais de faire apparaître des êtres nouveaux qui semblaient impossibles. Les pythagoriciens dissimulèrent que la racine carrée de deux était un nombre "irrationnel".

Ce qui aurait pu être le point de départ de nouvelles recherches est resté un secret d'alcôve d'une sorte de secte. Et il a fallu attendre le XVIIIème siècle pour que les nombres irrationnels aient le droit d'exister. Leur nom dit, à lui seul, les résistances qu'ils ont suscitées. Vinrent ensuite les transfinis, les nombres imaginaires, les espaces non euclidiens, les fractales et les catégories qui font, en quelque sorte, abstraction de l'existence des objets pour ne s'intéresser qu'à leurs relations.

Chaque fois, le dépassement des habitudes de pensée antérieures permet l'éclosion de nouvelles fleurs de l'esprit qui définissent d'autres lectures de l'ordre du monde. Savoir accepter l'imaginaire est la marque d'un créateur, dans tous les temps et tous les domaines de la pensée et de l'action. Les exemples abondent prouvant que la réalisation de quelques rêves fondamentaux de l'humanité a été rendue possible par la réunion, à priori incongrue, de domaines séparés. L'envol a été rendu possible par l'union de deux mécaniques des fluides : celle de l'eau et celle de l'air, que l'on croyait distinctes.

L'ubiquité, aujourd'hui rendue au moins partiellement possible par le téléphone ou la télévision s'appuie sur la fusion des pouvoirs de l'électricité et du magnétisme. La lévitation n'est plus impossible depuis que peuvent se conjuguer deux univers jumeaux et rivaux que sont l'onde et le corpuscule, dans le domaine de la supraconductivité. Enfin, l'apocalypse nucléaire est jaillie de la rencontre foudroyante de la masse et de l'énergie, symbolisée par une équation hélas célèbre depuis le 8 août 1945.

On peut, de même, montrer que l'utilisation à contre courant d'un outil ancien, apparaît, chez les grands noms de la science et de la technologie, comme une clef décisive pour expliquer leur créativité. Ainsi, comment ne pas voir que Newton a connu son plus grand triomphe en sachant relier deux mondes à priori contradictoires : le mouvement des astres, qui restent "en l'air" et la chute des corps, qui "tombent lourdement".

Même si l'exemple de la pomme n'a été pour lui qu'un moyen de faire sentir la démarche de sa pensée, l'idée incroyablement hardie - sinon complètement stupide aux yeux de ses contemporains - de "voir" que la lune (contre l'évidence apparente) "tombait, elle aussi, sur la terre", à la manière de n'importe quel corps banal, lui a permis de concevoir la gravitation universelle. Newton, conscient de son génie, recherchait bien une "universalité", simplificatrice du système du monde, brisant ainsi le tabou de la classification réductrice (monde terrestre - monde céleste), dont personne n'avait encore osé s'affranchir.

Le processus d'innovation

Il existe, dans le champ des grand rêves de l'humanité, exprimés dans les mythes et les religions, une grille de lecture utilisable pour donner un modèle du processus d'innovation. En schématisant, toute chose peut être distinguée selon trois aspects : l'aspect matériel (concret), l'aspect affectif (énergétique) et l'aspect conceptuel (structurant). En termes anciens, ces trois aspects sont respectivement : le corps, l'âme et l'esprit des choses. Le processus de l'innovation se déroule de la même manière dans les sciences, les arts et les techniques. Il comporte trois étapes : la conception (le créateur), l'organisation (l'entreprise), la socialisation (le marché).

Juste avant la seconde guerre mondiale, un certain André Lefevre dirige le bureau d'études des usines Citroën. Il a acquis, grâce au succès de la traction avant, une crédibilité suffisante pour se permettre d'imposer les vues les plus audacieuses, bien qu'il ne soit pas un "ancien de la maison". Il veut faire un véhicule destiné aux classes populaires, jusque là non motorisées. Il dit : "faites moi un parapluie à roulettes" … Cette idée paradoxale, mobilise le bureau d'études. C'est un défi. Pour faire moins cher, le prototype n'aura qu'un seul phare. Et la Deux Chevaux sera la voiture la plus vendue de l'après guerre.

A chaque stade, chacun de ces trois objets concerne des groupes d'hommes différents : entre un et dix individus au plus au moment de la germination du projet, une entreprise de taille déjà plus considérable pour le temps de l'organisation, enfin un ensemble énorme constitué d'un marché de plusieurs millions de personnes. Conception, organisation et socialisation (enfance, formation et vie adulte) sont donc les trois temps des métamorphoses successives qui rythment la vie d'un projet. Puis, pour chaque produit, vient le temps de la disparition. Il meurt, comme Osiris, inévitablement. Et il renaîtra peut-être à travers d'autres rêves …

L'innovation et la société

Considérons maintenant le système technique, pris dans son ensemble, dans son rapport avec les sociétés. L'innovation technologique peut avoir des effets déstabilisateurs sur la société. Pour schématiser, on peut dire que le système technique, à chaque époque, s'organise autour de quatre pôles : la matière, l'énergie, la structuration du temps, la relation avec le vivant.

Dans le Haut-Moyen Age, lorsque les chevaliers partent aux croisades, le basculement de la technique va s'organiser autour de la matière. Il se résume en un mot : le défrichement. L'espace agricole, qui n'était exploité que de manière parcellaire, est mis en culture et structuré de manière ordonnée. Parce qu'il est devenu permis - et possible - de défricher. Et que les outils (le soc de charrue, en fer) sont disponibles. Cette ouverture dans laquelle s'engagent à la fois les intendants des domaines féodaux et les monastères cisterciens, semble liée à la baisse du danger, car la chevalerie a emmené aux croisades tout ce qui peut combattre.

L'agriculture s'installe tranquillement. Même les interdits officiels ne sont plus respectés. Sur le plan philosophique et religieux, les interdits sont aussi transgressés. La doctrine sacrée de l'église est mise en doute. Le germe de l'esprit scientifique apparaît. La prospérité économique bouillonne. La population augmente. Elle double entre 1100 et 1300. Mais dès l'approche des saturations, peu avant 1300, la technologie du quotidien se fige, préludant au grand déclin des années 1300 – 1500.

La Révolution Industrielle du XIXème siècle se structure non plus autour de la matière, mais autour de l'énergie. C'est l'époque du machinisme, avec d'abord, la machine à vapeur, puis le moteur à explosion, qui exploitent tous les deux la puissance motrice du feu. La permissivité s'ouvre au Siècle des Lumières. Comme au Moyen Age, une minorité apparaît en réaction à une majorité conservatrice. Les développements des sciences permettent de remettre en cause les pratiques traditionalistes des corporations. La concurrence internationale presse. Les conditions sont favorables à l'accueil des inventions. La trajectoire de l'industrialisation, comme celle du défrichement dure deux siècles (1750 – 1950) …

Actuellement une déstabilisation de grande ampleur comparable est entrain de s'accomplir, menant à la construction d'une société de l'intelligence. Elle s'articule sur la structuration du temps. La microélectronique n'est pas autre chose que la possibilité de programmer des évènements qui se déroulent en nano-secondes. La permissivité, du fait de l'ouverture mondiale des marchés déréglementés est là. La transition durera entre un à deux siècles ...


Maj 19 10 09 - GA - L0
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6 juin 2008 5 06 /06 /juin /2008 20:20

La colère est mauvaise conseillère. C'est pourquoi je dois m'en protéger. Franc-maçon, je dois modérer mes passions, ne pas devenir irascible, ne pas céder à l'excitation qui fait tomber dans la banalité et enlève le respect des interlocuteurs. Mais souvent, la coupe est pleine, les abus deviennent intolérables. Alors, je parle dans la colère lorsque je suis rongé d'impuissance contre l'ordre établi des choses, contre ceux qui attristent la beauté du monde par leur mesquinerie, leur impolitesse …

Contre les ultra nantis, blancs sécurisés qui se plaignent sans cesse, avec leurs petites peurs, leurs petites histoires de grands malheurs et qui se rassurent avec les tarots ou des bracelets porte-bonheur. Comment admettre sans s'indigner que nous puissions garder nos chaudes maisons remplies d'objets inutiles lorsque cinquante pour cent de la population mondiale a faim et que quinze pour cent des gens qui vivent autour de nous sont des exclus ?

La raison doit nous permettre une capacité d'autocritique, nous obliger à ne pas répéter les inepties qui courent. Mais elle nous donne un monde gris, avec des colonnes de chiffres qui nous imposent leur loi, leur raison unique, alors que nous savons bien que nous marchons sans cesse au bord de l'erreur. Ainsi, je dois supporter des jeux d'écritures sur le papier qui définissent "la vérité", des explications et des corrections définitives qui doivent être appliquées.

Je dois accepter le jeu des taux et des ratios, le jeu sec et cynique des comptes d'exploitation, de l'argent. Alors des excès de sang me montent à la gorge et je demande de répéter ce que j'ai parfaitement compris pour faire entendre ma révolte.

Il y a mon ennemie personnelle : la télévision, qui n'analyse pas, ne construit pas et se contente de raconter la peur et le malheur en répétant les slogans et les mots d'ordre de ceux qui, institutionnellement, ont la responsabilité de produire des discours. Cette télé vide, qui donne à voir, mais ne donne pas les moyens de comprendre et qui désigne des boucs émissaires. Il y a mes ennemis historiques qui courent toujours : "les dieux qui - selon Anatole France - ont soif du sang des hommes, tant ils prennent plaisir à provoquer des guerres de religions".

Pour Jean Daniel : "c'est, en effet, une bien curieuse manière pour les catholiques et les protestants en Irlande, pour les juifs et les musulmans en Israël, pour les orthodoxes, les catholiques et les musulmans en Bosnie, que de se désaltérer en buvant le sang de leurs frères monothéistes, en répétant chacun dans ses prières et dans sa langue : "Dieu est amour" …

Il y a les gourous, les guerriers, les racistes qui entraînent les foules. Chaque jour, on peut vérifier l'arrivée - en contrebande - de nouveaux dieux. Tout cela facilité par l'atmosphère de fin du monde qu'entretiennent les médias. Il y a ceux qui ressassent les expressions populaires qui veulent tout dire et n'importe quoi, en permettant surtout à chacun de se retirer du jeu : il y a "ceux qui se taisent et n'en pensent pas moins, mais qui ne font rien ... Il y a : "pauvreté n'est pas vice … le mieux est l'ennemi du bien … les affaires sont les affaires … je suis à cheval sur les principes … toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire … et surtout le trop fameux : chacun pour soi et dieu pour tous" …

Et certaines politiques, qui ne sont pas en reste avec ces expressions lénifiantes. On parle sans arrêt de crises … Mais à l'origine, "krisis" signifiait : décision. Aujourd'hui, comme l'écrit Edgar Morin : "crise signifie indécision. C'est le moment où en même temps qu'une perturbation surgissent les incertitudes". Encore une fois, où est la recherche d'un diagnostic ou d'actions ? Des crises réelles existent. Elles sont principalement dues aux conséquences de la mondialisation.

Mais chacun voit des crises partout ce qui accentue les effets de stress et les visions négatives. Va-t-on encore se promener seul, la nuit, sous les étoiles ? Allons-nous arrêter cette culture globale de la peur, du malheur, de l'angoisse, du mortifère ? Alors que nous devrions garder nos forces pour inventer, lutter, écouter, donner …

La modernité a mis plus de deux siècles pour édifier péniblement et consciencieusement des politiques plus globales : création de l'ONU, de l'UNESCO, de la FAO, de l'Europe. Mais ces institutions sont submergées par des lames de fond irrationnelles qui me laissent fou … La démocratie, la laïcité, se trouvent parfois contraintes à démontrer la validité de leurs idéaux contre des ennemis que l'on ne sait plus forcément ni localiser ni identifier et qui, paradoxalement, orientent la parole, dans une grande indifférence et un fort stoïcisme général.

Oui, cette décadence m'atteint et, avec le stress de plus en plus pressant de la vie ordinaire, m'entraîne vers la colère. Car j'ai besoin de vivre en amitié avec moi-même en me battant pour défendre mes idées afin de rendre mon existence acceptable. Partout et quotidiennement, dans mon entreprise, je dois défendre les hommes. Je crois que l'acceptation passive du mal nous en rend complices et que l'atonie sociale est bien le danger principal pour nos démocraties.

La colère se définit comme une réaction à un mécontentement, à une frustration. Une réaction personnelle et authentique offre des garanties pour affronter les faux semblants, les apparences mensongères, les langues de bois, les injustices. Mais ma colère est également un hommage rendu à l'existence des autres. Elle est parfois acte d'amour déçu. Elle relativise la raison en valorisant l'intuition sensible née de l'expérience. Elle ne signifie pas agression. Elle permet même souvent de l'éviter. L'émotion facilite la prise de décision et permet d'établir une hiérarchie des priorités. La colère met l'esprit en alerte.

Un homme incapable de se mettre en colère est sans doute désarmé, privé d'une arme essentielle d'attaque ou de défense. Il risque de tomber dans l'indifférence ou de devenir le jouet de n'importe quel pouvoir. La colère permet de savoir ce que l'on pense, ce que l'on ne veut pas. Elle fait partie de la structuration individuelle face à l'asepsie de la vie actuelle (boulot, télé, dodo), la diminution des goûts puissants, des couleurs vives, (la première couleur portée au monde est le jean - le blue-jean), le moralisme renaissant, le Maccartisme rampant …

Aujourd'hui, il est bien vu de dénoncer la violence, la colère, l'effervescence, comme autant de réminiscences barbares. Les mots "emportement" et colère" sont quasiment synonymes. Ce qui est assez remarquable, dans l'emportement, c'est que l'on est projeté "hors de soi". Mais alors, on se contrôle peu ou on se contrôle mal … On ne doit certainement pas laisser nos émotions nous conduire, sinon on semble réagir aux évènements et non agir sur les choses.

La belle et grande obligation de tolérance pour le maçon obéit toujours aux mêmes règles : être certain d'avoir eu la capacité d'écouter, d'écouter avec compréhension, en se mettant à la place de l'autre, en s'exposant à l'efficacité et à la force d'autres raisons, d'autres expériences, d'autres motivations. Cette tolérance prend des risques, elle sert à apprendre à lutter contre ses préjugés. Avec la tolérance, il y a la responsabilité, qui permet de répondre présent, d'accepter, ou d'agir, d'être le gardien de ses idées.

Ma responsabilité est insomniaque. Elle m'a fait vieillir, grossir. Elle a creusé mes traits. Ma responsabilité me permet de garder mon libre arbitre, d'agir avec réflexion, de reconnaître que je me suis trompé. Elle me parle de force, de grandeur, de ce qui m'oblige, de la solidarité, de la liberté, de l'abrutissement des hommes et de leurs calculs … C'est elle qui doit me faire agir, qui doit vivre avec mes colères, en me souvenant de tous ceux pour qui les colères sont interdites : les esclaves, les employés, les enfants, les prisonniers, les pauvres, devant leur banquier ...

Il a fallu alors me poser bien des questions sur mes colères. Si je suis d'accord pour dire que "l'objectivement intolérable" doit être combattu par l'intolérance, la colère, l'indignation, le problème reste dans la définition de ce qui est objectivement intolérable. Alors, l'apologie de la colère devient un peu hypocrite, parce qu'elle pourrait me faire prétendre que ma colère est juste. Mais si ma colère n'est pas juste, n'est-elle pas simplement cruauté, rage, ou sadisme ?

Il y a toutefois des colères légitimes, comme les émotions peuvent être légitimes … Légitime veut dire : "qui fonde le droit". L'indignation qui se donne raison se prend alors pour la source du droit. Et une indignation qui juge à tout propos, en se plaçant dans l'insurrection permanente, inspire méfiance, alors qu'elle prétend promouvoir la solidarité. La colère, souvent manichéenne, crée des contre courants qui vont à l'encontre de ses objectifs, de mes objectifs.

En me posant de nouvelles questions, je comprends que nos irritations révèlent les croyances que nous entretenons inconsciemment, sur le monde tel qu'il devrait être et que nos colères viennent parfois du sentiment qu'un idéal a été trahi, aussi inconscient ou utopique que cet idéal puisse paraître. La colère révèle donc notre utopisme, elle apporte la preuve de notre idéalisme et de notre soif de justice. Elle révèle ce qui compte pour nous et à quel aspect de nous-même nous accordons le plus de valeur, en quelque sorte notre moralité ultime et notre soif de justice.

Optimiste incurable, je crois en la justice, en sa valeur, en la possibilité de son existence. Sénèque ne cherche pas à légitimer la colère mais à comprendre comment elle fonctionne pour la bannir de la vie de l'homme moral, de celui qui conserve la maîtrise de lui-même. Il considère que la colère, pour se déclencher, suppose un "moment intellectuel".

Il constate que nous devons d'abord comprendre, même si nous n'avons pas raison de le faire, que nous devons considérer comme offensant ce qui nous arrive et qu'en dépit des manifestations psychologiques qui nous échappent, la colère par-elle même doit être déclenchée par la volonté. La colère dépend donc d'une approbation de soi, même si plus tard, il nous est possible de regretter de nous y être abandonnés. Et ce regret est bien la reconnaissance que la colère ne nous était ni imposée, ni étrangère.

Aristote considère que la colère n'est ni louable, ni blâmable. Et qu'il y a un bon usage de la colère, un juste milieu entre l'excès d'irritabilité et l'incapacité à mobiliser sa colère. La colère peut également séduire les hommes en anticipant le plaisir de la vengeance. Et, derrière la souffrance visible d'un l'homme en proie à la colère, il y a incontestablement une certaine jouissance.

Et puis, il y a bien sur le grand poème homérique des colères, l'Iliade … Consacrée à la colère d'Achille et à toutes les autres colères : la colère vengeresse, celle de n'être qu'un mortel et donc de devoir mourir, celle d'une mère dont le fils doit mourir et beaucoup d'autres "noires colères" qui se nourrissent d'elles-mêmes …

Toutes ces colères ont une valeur humaine. Ce sont des émotions avec deux grandes variantes. Celles des rois qui dominent et celles des héros qui sentent que les choses leur échappent. Il y a aussi une émotion dont la cause est différente : l'indignation, qui est une passion envahissante qui nous engage à intervenir dans les affaires d'autrui. L'indignation suppose l'absence de tout intérêt personnel et la seule considération du prochain.

Dans son essai sur la colère, Montaigne estime que la colère recèle une demande d'échange. Echange de paroles, de gestes, ou de sang. Et Cervantès, en considérant les coléreux avec compassion, pense que celui qui dit des injures est bien prêt de pardonner. On dit qu'Hugo et Aragon, exaltaient leur colère afin de mieux exprimer leurs sentiments, car cela leur permettait de mieux sentir et faire partager ce qui justifiait leur émotion. Il y a encore nos désirs infinis de justice impossible, nos colères venues de la non-écoute et des refus de nos indignations ... Et enfin, les récits de Kafka, fortes colères venant d'infatigables investigations, d'inépuisables réflexions …

Travailler, étudier, être curieux, même de ce que l'on critique. Faire le tri de nos convictions, les confronter à la raison, à notre expérience et à celle de ceux à qui nous faisons confiance. Conserver notre sensibilité. S'efforcer avant tout de garder notre liberté. Et lorsque les signes de la colère surviennent, essayer le plus possible de la contenir.

Vérifier les faits, confronter les chiffres, les témoignages. Ne pas se laisser influencer par de vieilles querelles ou de vieilles vengeances. Appeler la tolérance à la rescousse et rester très sensible en matière de justice. Agir enfin, ou ne plus rien dire ... Crier ou sourire, avec sincérité, en son âme et conscience …


Maj 19 10 09 - GA - L0
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